Gestion des conflits communautaires dans la Somalie du Sud

Gestion des conflits communautaires dans la Somalie du Sud

Cet article fait partie de la série Pleins feux sur le Triple lien de Coopération Canada  

 

En 2020, Développement et Paix – Caritas Canada, en partenariat avec Trócaire, a lancé un projet de trois ans pour soutenir les communautés vulnérables, en particulier les femmes dans les camps de personnes déplacées à l’intérieur du pays (PDI) et les communautés d’accueil. Le projet, intitulé « Améliorer la sécurité alimentaire des personnes déplacées vulnérables et des communautés d’accueil », vise à mettre en place des systèmes alimentaires durables grâce à l’agroécologie. Il s’est concentré sur l’autonomisation des femmes en les équipant d’intrants agricoles, y compris l’accès à la terre, et en promouvant des moyens de subsistance alternatifs résilients, ainsi qu’une gestion communautaire des ressources naturelles. Plus de 2 118 personnes (1 066 femmes et 1 052 hommes) du district de Luuq, dans la région de Gedo, dans le sud de la Somalie, ont bénéficié de cette intervention. 

Khadijo Hassan Duur Host Community

Project beneficiary harvesting on a farm provided to her to farm. Photo: CeRID

Fadhumo, 32 ans, mère de huit enfants, a reçu une formation agricole basée sur des pratiques agricoles durables, des semences, des outils agricoles et un lopin de terre à cultiver. En moyenne, Fadumo a gagné un revenu de 300 USD après chaque récolte, ce qui lui a permis de payer 16 USD par mois de frais de scolarité pour ses quatre fils qui fréquentent une madrasa locale, et de s’occuper de 14 membres de sa famille élargie. Elle a économisé suffisamment d’argent pour obtenir un prêt et ouvrir un magasin. Les groupes d’épargne ont également amélioré la confiance des femmes, leur engagement dans la prise de décision et la construction d’un réseau social sur lequel elles peuvent compter. 

La Somalie, une nation fragile, a connu des conflits prolongés, des problèmes climatiques tels que des sécheresses et des inondations, l’insécurité alimentaire, des conflits entre clans et un accès limité aux services essentiels. À la mi-2023, plus de 1,4 million de Somalien-ne-s avaient été déplacés à l’intérieur du pays en raison de ces facteurs, et plus de 8,25 millions de personnes avaient besoin d’une aide humanitaire d’urgence. En outre, plus de 3,7 millions de personnes en Somalie sont actuellement confrontées à une insécurité alimentaire aiguë.

A-three-day old group of the newly IDP at the Kahare camp; they had hopes of receiving humanitarian assistance. Photo: Trócaire

A-three-day old group of the newly IDP at the Kahare camp; they had hopes of receiving humanitarian assistance. Photo: Trócaire

Ce nombre devrait atteindre 4,3 millions de personnes entre octobre et décembre 2023, dont 1,5 million d’enfants mal nourris, 330 630 d’entre eux étant sévèrement mal nourris d’août 2023 à juillet. L’insécurité et les affrontements entre clans perturbent la paix, le développement économique, l’accès aux services de base et le bien-être psychosocial. Les femmes, les enfants, les personnes âgées, les personnes vivant avec un handicap et les groupes minoritaires sont touché-e-s de manière disproportionnée. Le manque de moyens de subsistance a compromis la consommation alimentaire des ménages, obligeant ces populations à quitter leur domicile pour s’installer dans des camps de personnes déplacées à l’intérieur du pays, à plus de 20 km de là, à la recherche de besoins et de services de base.   

Les bruits forts des tirs ont été profondément traumatisants ; certains de nos voisin-e-s ont perdu des membres de leur famille. Nos terres ont été confisquées. Nous avons été submergé-e-s par la peur et n’avions plus aucun moyen pour survivre. Nous avons donc rassemblé tout ce que nous pouvions et quitté notre maison, où nous vivions depuis plus de dix ans, pour nous rendre à Dollow. Après un voyage de douze jours sur une charrette tirée par un âne, nous sommes arrivé-e-s à bon port. Dès notre arrivée, nous avons été chaleureusement accueilli-e-s par les responsables du camp, qui nous ont fourni un abri,” raconte Hawa.  

Hawa et sa famille font partie des nombreuses personnes qui ont dû s’installer à Gedo à la recherche d’une vie meilleure et plus sûre après que leurs moyens de subsistance ont été perturbés par un conflit entre groupes. Dans ce contexte, l’approche du triple lien est essentielle pour lutter contre les inégalités systémiques. Cette approche permet non seulement de faire le lien entre l’aide à court terme et le progrès social durable, mais aussi de favoriser des environnements pacifiques, permettant la pleine réalisation des droits de la personne. 

A community member from Boyle community participating in the DRR mapping exercise in Luuq District. Photo: CeRID

A community member from Boyle community participating in the DRR mapping exercise in Luuq District. Photo: CeRID

Trócaire utilise une approche sensible aux conflits qui s’engage avec les communautés pour un retour d’information et un partage d’informations sur les interventions locales. Ses programmes sont intégrés non seulement d’un point de vue thématique, mais ils ciblent aussi conjointement les communautés d’accueil et les personnes déplacées afin de promouvoir la cohésion sociale. Trócaire travaille avec les communautés pour établir des comités qui jouent un rôle essentiel dans la résolution des conflits. Par exemple, dans le cadre du programme de résilience, les agriculteur-trice-s ont créé des comités pour les aider à gérer la ferme et à résoudre les conflits. Collectivement, ils et elles ont établi des règles et des plans pour la ferme, par exemple en établissant des calendriers d’arrosage pour chaque groupe ainsi que des sanctions pour ceux qui ne respectent pas ces directives. Cela a permis de définir clairement les attentes de chaque agriculteur-trice, de partager équitablement les ressources et d’assurer le bon fonctionnement de l’exploitation commune. Parallèlement, les comités de gestion de l’eau, les comités d’éducation communautaire et les comités de santé villageois ont joué un rôle actif dans la résolution des conflits liés aux ressources. Par exemple, les comités de gestion de l’eau, dirigés et formés localement, supervisent la gestion des ressources en eau limitées en veillant à ce que les systèmes d’eau locaux soient fonctionnels et en promouvant un accès durable et équitable à l’eau. Ces comités ont coexisté et se sont soutenus mutuellement, la gestion des ressources en eau par le comité de gestion de l’eau étant soutenue par les efforts de la Commission électorale centrale (CEC) pour s’engager auprès des communautés locales et des personnes déplacées afin de collecter des fonds pour le développement de l’école. 

Trócaire a soutenu la formation d’autres comités communautaires (appelés « champions de la paix communautaires »), notamment des comités de gestion des ressources naturelles et de réduction des risques de catastrophe. Ces comités travaillent à la promotion de la coexistence pacifique au sein de leurs communautés, à la réduction des risques de catastrophes et à la gestion des ressources naturelles pour protéger l’environnement, à l’exploitation durable des ressources et à la réduction des chocs et des conflits liés au climat. Les membres des comités sont issus des différentes couches socio-économiques de la communauté et ont reçu une formation. À leur tour, ces personnes représentent les voix de la communauté qu’elles servent, identifiant les priorités à travers des consultations qui sont en partie soutenues par Trócaire.   

Ces comités collaborent étroitement avec les membres de la communauté, les institutions et les dirigeants locaux qui reconnaissent pleinement leur présence et leur travail en faveur d’une coexistence pacifique. Ils travaillent au sein de leurs communautés respectives et sont le premier point de contact en cas de conflit. Par exemple, lors de la phase de négociation entre les parties en conflit, une délégation d’anciens de la communauté et de dirigeants locaux est convoquée.   

Les ancien-ne-s ont non seulement reconnu mais aussi salué les efforts déployés pour promouvoir la paix. À la suite d’une séance de sensibilisation, les leaders de la communauté ont exprimé leurs sentiments, soulignant l’importance primordiale de la paix. 

 “Sans la paix, rien ne peut être réalisé, les forgerons ne peuvent forger des métaux, les gens n’osent pas allumer de feu de peur d’être attaqués, l’accès aux sources d’eau devient impossible et la vie elle-même devient instable,” a fait remarquer un des leaders. 

Un autre a ajouté : “En période de violence, aucun fils ne naît, mais nous perdons beaucoup d’hommes jeunes et productifs.”  

A peace building session in Gedo; aimed to sensitize community leaders on the importance of fostering peace. Photo: Mohamed, Trócaire

A peace building session in Gedo; aimed to sensitize community leaders on the importance of fostering peace. Photo: Mohamed, Trócaire

Trócaire reconnaît que les progrès réalisés grâce à la consolidation de la paix au niveau communautaire ne sont durables que s’ils s’appuient sur l’appropriation par la communauté. C’est pourquoi la collaboration et la coordination avec les institutions locales, les conseils de santé de district, les dirigeant-e-s des personnes déplacées, les autorités locales et les représentant-e-s du gouvernement sont au cœur de la conception des actions et des programmes de Trócaire. Ces collaborations permettent non seulement de gérer les conflits au sein des communautés, mais aussi de créer un environnement propice à la mise en œuvre du plan de développement humanitaire (HDP) et de veiller à ce que les communautés, qu’elles soient hôtes ou déplacées, puissent jouir d’un large éventail de droits. 

Cet article a été co-écrit par Maurine Akinyi, responsable du soutien aux programmes, Trócaire Somalie et Dominique Godbout, responsable du programme humanitaire, Développement et Paix-Caritas Canada. 

L’importance de la cohésion sociale dans les contextes fragiles : Les leçons d’un réseau interconfessionnel en Syrie

L’importance de la cohésion sociale dans les contextes fragiles : Les leçons d’un réseau interconfessionnel en Syrie

Cet article fait partie de la série Pleins feux sur le Triple lien de Coopération Canada. Il a été initialement publié le 30 octobre 2014.  (https://mccintersections.wordpress.com/2014/10/30/humanitarian-assistance-and-social-cohesion-in-syria/ 

 

Dans toute situation de crise ou de conflit, l’aide humanitaire vise à répondre aux besoins fondamentaux liés à la subsistance des personnes les plus touchées. Répondre aux besoins liés à la sécurité alimentaire, à l’eau, à l’assainissement, à l’hygiène et aux abris implique des considérations techniques qui requièrent une attention immédiate. Toutefois, la fourniture d’une aide humanitaire offre également l’occasion d’engager les communautés touchées dans un travail stratégique moins évident, mais tout aussi essentiel, visant à préserver et à renforcer la cohésion sociale. Il s’agit là de situations stratégiques dans lesquelles l’approche du triple lien peut être mise en œuvre, en associant les programmes humanitaires, de développement et de paix. 

Grâce à des initiatives locales qui favorisent les relations positives au sein des communautés menacées par les facteurs de division du sectarisme, la solidarité et la confiance peuvent être atteintes et maintenues au milieu d’un conflit ouvert. Cette conviction est au cœur de la philosophie du Forum pour le développement, la culture et le dialogue (FDCD), partenaire du Mennonite Central Committee, qui aborde son travail d’assistance humanitaire sous l’angle de la paix pour les personnes déplacées à l’intérieur de la Syrie. 

Bien que la crise syrienne ait épargné peu de monde en se déplaçant de village en village, certaines zones sont restées des havres de paix relatifs pour les personnes forcées de fuir leurs maisons en raison d’une violence intense et souvent aveugle. La région de Qalamoun, qui chevauche l’autoroute reliant Damas à Homs dans le centre de la Syrie, est l’une de ces zones. La diversité de la composition de la région offre un contexte particulier pour observer la pratique tactique de la distribution de l’aide humanitaire dans un environnement multiconfessionnel où les villages sont souvent séparés par des groupes confessionnels. 

Bien que les communautés syriennes soient connues depuis longtemps pour leur hospitalité, des tensions entre les communautés d’accueil existent à Qalamoun, comme partout en Syrie, en particulier lorsque les ressources sont rares. Malgré ces difficultés, les habitants de Qalamoun ont été en mesure de répondre aux besoins de celles et ceux qui cherchaient à fuir les violences intenses à Alep, Homs et Damas. En plus d’accueillir les familles déplacées dans leurs magasins, leurs maisons et leurs écoles, les habitant-e-s de Qalamoun ont immédiatement commencé à organiser des efforts pour fournir de la nourriture et des articles d’hygiène à leurs nouveaux hôtes. Au fur et à mesure de l’arrivée des personnes déplacées, la nécessité d’une aide humanitaire plus importante est devenue évidente. Le FDCD, en étroite collaboration avec ses contacts dans la région de Qalamoun, a formé un réseau interconfessionnel local de distributeur-trice-s et de coordinateur-trice-s pour répondre à la crise. 

L’inclusion délibérée de partenaires chrétien-ne-s et musulman-e-s dans ce processus a permis de faire progresser la dimension de paix de l’approche Nexus utilisée par le FDCD. Au-delà de la distribution réussie d’une aide en nature aux familles déplacées, ce réseau a produit de nouvelles formes de confiance et de coopération entre les groupes confessionnels. 

La réponse de la communauté à la tentative de l’opposition syrienne de contrôler la région, y compris la ville de Sadad, en saisissant les véhicules et en limitant la capacité des résident-e-s locaux-ales à évacuer la zone, en est une preuve supplémentaire. Face à cette situation, le réseau interconfessionnel du FDCD a rapidement coordonné un effort pour fournir des moyens de transport. Lorsque la présence de forces antigouvernementales dans la région a rendu les déplacements des non-musulman-e-s risqués et fortement entravés, les communautés musulmanes de Qalamoun ont utilisé leurs propres véhicules pour faciliter l’évacuation en toute sécurité des membres de la communauté chrétienne vers d’autres villages de la région. À cet égard, le partenariat approfondi facilité par l’organisation et la distribution de l’aide humanitaire dans le Qalamoun s’est avéré inestimable pour la protection de la communauté chrétienne pendant cette période de persécution et de crise. 

Si la bataille de Qalamoun a sans aucun doute été destructrice, l’expérience du FDCD montre comment un réseau interconfessionnel a contribué de manière importante à atténuer les effets du conflit armé. Comme nous l’avons vu plus haut, les avantages stratégiques de son approche délibérée de la distribution humanitaire sont évidents, soutenus par un objectif de paix supplémentaire centré sur la cohésion sociale interconfessionnelle. 

Une communauté historiquement diverse dans le Qalamoun continue, à ce jour, à fournir un exemple de la façon dont les musulman-e-s et les chrétien-ne-s peuvent travailler pour naviguer dans les tensions actuelles entre les communautés d’accueil et les communautés déplacées dans le contexte du conflit syrien en cours. Alors que de nombreuses communautés syriennes sont victimes du cercle vicieux de la haine, de l’exclusion et de la persécution, l’expérience du FDCD témoigne de la valeur des approches interconfessionnelles locales de la paix et de l’humanitaire. Bien que nous ne puissions pas prédire quand la crise syrienne prendra fin, la préservation de nouvelles formes de cohésion sociale résultant de ce réseau interconfessionnel sera cruciale pour le redressement rapide du pays et le développement post-conflit. Ces relations continues deviendront essentielles pour empêcher la propagation de la haine et du sectarisme, en travaillant ensemble pour parvenir à la compréhension mutuelle, au respect, à la coexistence et au dialogue. 

 

Leçons tirées de la MCC :   

  • Compte tenu de l’attention accrue portée à l’approche du triple Nexus, une planification stratégique est nécessaire dès la phase de conception du programme. 
    • C’est une simplification excessive de supposer que, par exemple, quelques ateliers de consolidation de la paix permettront d’atteindre cet objectif. Il est nécessaire de réfléchir à la manière de contribuer à la cohésion sociale et au relèvement/développement à long terme et de l’intégrer dans la planification. 
  • Des ressources sont nécessaires avant la mise en œuvre du projet pour effectuer une analyse/carte des conflits appropriée. 
    • Il existe toujours un risque que l’aide humanitaire soit utilisée/détournée pour s’aligner sur les objectifs politiques locaux/régionaux 
    • Les ONG doivent être conscientes de cette dynamique lorsqu’elles mettent en œuvre de grands projets humanitaires. 
  • Les donateurtrices ont besoin d’un financement flexible. 
    • Alors que les donateurtrices institutionnel-le-s encouragent une approche triple Nexus, la plupart des financements sont encore limités à certaines activités (par exemple, la sécurité alimentaire). Avec des ressources limitées ou restreintes, les ONG peuvent avoir du mal à savoir comment intégrer la cohésion sociale et les programmes de développement, en particulier lorsque les ressources sont limitées pour d’autres domaines que les donateurtrices veulent privilégier : le genre, la protection, le renforcement des capacités, etc. 
  • Les donateurtrices doivent penser à long terme. 
    • La plupart des financements institutionnels sont à court terme, mais il n’est pas réaliste d’adopter une approche triple Nexus avec des financements à court terme. Les changements dans la cohésion sociale ou le passage de l’aide humanitaire au relèvement précoce/au développement impliquent une réflexion à long terme. 

 

Leçons tirées du FDCD :

  • Pour maintenir une paix durable, les ressources doivent être partagées sans discrimination et les besoins de la communauté d’accueil doivent également être pris en compte en priorité. Ce cas montre que lorsqu’ils sont traités sur un pied d’égalité, les chrétien-ne-s et les musulman-e-s reconnaissent la dignité de chacun.
  • Lorsque des organisations locales et internationales s’unissent, comme la MCC et le FDCD, pour mettre en œuvre Triple Nexus au sein des communautés confrontées au conflit en Syrie, cela peut favoriser l’harmonie, l’instauration de la confiance et la réconciliation de la population après des années de guerre et de conflit.
Cet article a été publié pour la première fois en 2014 dans la publication trimestrielle du MCC, Intersections, et rédigé par Riad Jarjour, secrétaire général du Groupe arabe pour le dialogue islamo-chrétien et président du Forum pour le développement, la culture et le dialogue (FDCD), basé au Liban. et Andrew Long-Higgins, ancien stagiaire au FDCD. Cette pièce a été mise à jour pour Coopération Canada en 2023 par Garry Mayhew. 
Pleins feux sur le Triple lien dans la pratique – Humanitaire, développement & paix

Pleins feux sur le Triple lien dans la pratique – Humanitaire, développement & paix

Les organisations de la société civile canadienne (OSC) et Affaires mondiales Canada (AMC) s’intéressent de plus en plus au Triple lien, intersectionnalité entre les pôles de l’humanitaire, du développement et de la consolidation de la paix.

C’est dans cette optique que Coopération Canada a participé à la rédaction d’une série d’articles sur le Triple lien, visant à mettre en évidence ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas dans les initiatives de terrain entreprises par nos membres, ainsi que certains des défis et des opportunités potentiel-le-s dans l’expansion de la programmation du Triple lien.

Pour en savoir plus sur le Triple lien dans la pratique, lisez ces récits de terrain. 

« Il n’y a pas de développement sans paix » : Perspectives de l’Est du Congo

« Il n’y a pas de développement sans paix » : Perspectives de l’Est du Congo

Cet article fait partie de la série Pleins feux sur le Triple lien de Coopération Canada 

 

Le village de Shasha, un peu à l’ouest de Goma, en République démocratique du Congo, illustre bien l’intégration du travail humanitaire, du développement et de la paix. Les riches sols volcaniques de cette région sont densément peuplés de petit-e-s agriculteur-trice-s qui, ces dernières années, ont été rejoint-e-s par des milliers de personnes déplacées à l’intérieur du pays (PDI) fuyant les zones de combat. L’arrivée de ces personnes crée un risque de conflit supplémentaire, car elles cherchent des parcelles de terre pour vivre et subvenir aux besoins de leurs familles. Les ONG locales mettent en œuvre des projets de Triple lien pour répondre aux besoins humanitaires (assistance alimentaire à court terme), aux besoins de développement (terres pour que les personnes déplacées puissent cultiver des aliments) et pour prévenir les conflits entre les personnes déplacées et les communautés d’accueil. C’est l’un des projets que j’ai visité en janvier 2023, aux côtés de collègues du Mennonite Central Committee (MCC). La programmation de la paix est au cœur du travail du MCC et est parfois incluse dans le travail de la Banque canadienne de grains. 

En RDC, le conflit est très visible et changeant, avec des dizaines de groupes armés impliqués (l’armée congolaise, les groupes armés soutenus par des acteur-trice-s étranger-ère-s, les Congolais-ses qui se sont armés eux-mêmes pour défendre leurs ressources, et maintenant les soldats de la paix d’Afrique de l’Est et de l’ONU) et des rapports quotidiens sur les mouvements de troupes et les attaques dans les zones rurales. Une grande partie du conflit trouve son origine dans la concurrence pour les minerais, certains groupes voulant exploiter les minerais et d’autres protégeant leurs terres. L’Est du Congo est riche en plusieurs minéraux essentiels très demandés par les entreprises de l’économie verte. Il existe quelques mineurs artisanaux locaux, mais la majeure partie de l’industrie minière est gérée par des sociétés étrangères, notamment canadiennes, qui ont un bilan mitigé en ce qui concerne le respect des lois congolaises et la contribution au développement en dehors des mines elles-mêmes. 

Certain-e-s des partenaires que nous avons rencontré-e-s travaillent à la réduction de ces types de conflits armés, en contribuant à la paix au niveau sociétal, ou à ce que l’on appelle souvent la « grande P ». Un partenaire congolais travaille directement avec les groupes armés, encourageant leurs membres à désarmer, tout en aidant ceux qui désarment à trouver des activités de subsistance et des communautés qui les acceptent. 

Tous les partenaires travaillent à la « petite paix » ou à la réduction des conflits interpersonnels. Ces efforts sont souvent intégrés dans des projets ayant des objectifs humanitaires ou de développement, voire les deux. Il peut s’agir de fournir une source d’eau à un jardin communautaire et une deuxième source d’eau à la communauté élargie qui n’est pas membre du groupe de jardinage. Dans certains cas, le travail sur la « petite P » consiste à organiser des ateliers ou des clubs permanents qui aident les gens à gérer les conflits interpersonnels, à se remettre de traumatismes passés ou à acquérir des compétences en matière de médiation. Bien qu’il existe des outils efficaces pour mesurer l’impact de ces activités « petite P » au niveau de la communauté, on ne sait pas exactement dans quelle mesure elles contribuent à la « grande P », la paix, dans l’ensemble de la société. 

Les partenaires que nous avons visité-e-s ont fait part d’un certain nombre de messages communs sur le Triple lien. De nombreux partenaires et participant-e-s aux projets nous ont dit qu’ « il n’y a pas de développement sans paix », c’est-à-dire que la paix et le développement sont étroitement liés et qu’il y a des synergies à travailler sur les deux ensemble. Nos partenaires ont toujours travaillé sur le Nexus, souvent avec des sources de financement différentes. Lorsqu’on leur a posé la question, ils/elles ont semblé ne pas savoir si le financement devait provenir d’une seule source ou de plusieurs. Ils/elles ont la capacité et l’expérience nécessaires pour proposer des programmes qui répondent aux besoins du moment. Ils/elles ont demandé que les différent-e-s donateur-trice-s reconnaissent cette diversité de programmes et s’efforcent d’harmoniser les exigences en matière de rapports. 

Nous avons également entendu dire que la programmation en faveur de la paix peut être peu coûteuse (par rapport à d’autres types de programmation). Dans de nombreux cas, elle peut être incorporée dans des projets humanitaires ou de développement sans trop de frais supplémentaires, mais elle ajoute une valeur significative au projet en réduisant le risque de conflit qui pourrait compromettre les gains du projet. 

Les partenaires de la MCC que nous avons rencontrés ont accueilli favorablement nos questions et ont été heureux d’apprendre que le Canada (GAC et OSC) s’intéresse de plus près au travail sur les nexus. Il s’agit peut-être d’un nouveau domaine de travail pour nous, mais pas pour eux. Grâce à leur expérience considérable en matière de programmation Nexus, ces partenaires peuvent nous aider à apprendre et à améliorer la programmation Nexus. 

L’avenir de l’engagement du Canada en Afrique

L’avenir de l’engagement du Canada en Afrique

Au cours des derniers mois, Coopération Canada et ses membres ont activement participé à des conversations avec Affaires mondiales Canada et d’autres acteurs politiques sur les relations entre le Canada et l’Afrique, cherchant à contribuer à la redéfinition des règles de notre engagement avec et sur le continent africain.

Pour en savoir plus sur le point de vue de Coopération Canada et de ses membres, veuillez consulter les recommandations de la société civile canadienne.

 

Recommandations politiques de la société civile et engagements de Coopération Canada en amont du Sommet du G7 de 2023 au Japon

Recommandations politiques de la société civile et engagements de Coopération Canada en amont du Sommet du G7 de 2023 au Japon

Le G7 est un groupe informel de démocraties avancées qui partagent des valeurs de liberté, de démocratie et de droits de la personne. La plate-forme a vu le jour à Paris en 1975 avec six pays (France, Allemagne, Grande-Bretagne, Italie, Japon et États-Unis d’Amérique). Le G7 a été créé en 1976 après que les États-Unis eurent demandé l’adhésion du Canada. Les pays du G7 se réunissent chaque année pour coordonner la politique économique mondiale, la sécurité mondiale et aborder d’autres questions transnationales. Cette année, le Sommet du G7 se tiendra du 19 au 21 mai à Hiroshima, au Japon. 

 Parallèlement au processus gouvernemental, des acteurs non étatiques se mobilisent pour porter à l’attention des dirigeant-e-s du G7 les préoccupations de leurs constituant-e-s respectif-ve-s, appelés groupes d’engagement. Dans la perspective du G7 de cette année, Coopération Canada travaille avec les acteur-trice-s de la société civile et le gouvernement canadien pour assurer un dialogue constructif avec les pays du G7. 

 

Le processus du C7 

Le Civil 7, ou C7, est l’un des sept groupes d’engagement officiels représentés au sein du forum du G7. Le C7, coordonné par une coalition de la société civile du pays qui assume la présidence du G7, produit chaque année une série de recommandations politiques pour le sommet des dirigeant-e-s. Cette année, le C7 est dirigé par la coalition de la société civile japonaise, soutenue par un comité directeur international dont fait partie Coopération Canada. Le C7 comprend six groupes de travail : justice climatique et environnementale; justice et transformation économiques; santé mondiale; aide humanitaire et conflits; sociétés ouvertes et résilientes; et désarmement nucléaire.  

Mobilisés les 13 et 14 avril 2023 pour le Sommet du C7 à Tokyo, puis les 16 et 17 avril au Sommet des peuples d’Hiroshima, les représentant-e-s du C7 ont publié des recommandations politiques avant le Sommet du G7 à Hiroshima. Carelle Mang-Benza, responsable des politiques à Coopération Canada, a assisté aux réunions et participé à ce processus. 

 

Le Communiqué du C7 

Le mercredi 12 avril, les représentant-e-s du C7 ont présenté au président du G7 et premier ministre du Japon, Fumio Kishida, les recommandations contenues dans le Communiqué du C7 2023. Ce document est le fruit d’un effort collectif de plus de 700 représentant-e-s de la société civile de 72 pays. Le Communiqué rappelle aux dirigeant-e-s du G7 qu’ils ont la responsabilité et la possibilité de concevoir et de mettre en œuvre des politiques transformatrices pour la paix, la prospérité et la transparence. Après un préambule appelant à ce que le sommet d’Hiroshima soit « noté AAA – ‘Ambition, Action, Responsabilité’ », le communiqué présente les recommandations des six groupes de travail. 

 Le groupe de travail sur le désarmement nucléaire est le premier du genre, né sous la présidence de cette année, compte tenu du contexte de risque nucléaire exacerbé par la guerre en Ukraine. Le groupe de travail recommande aux dirigeant-e-s du G7 de reconnaître les dommages causés par les armes nucléaires, de s’engager à réduire le risque nucléaire et de réaffecter au désarmement les ressources consacrées à l’arsenal nucléaire.  

Constatant que les économies du G7 sont largement responsables de la crise climatique, le groupe de travail sur la justice climatique et environnementale appelle les dirigeant-e-s du G7 à tirer parti de leur pouvoir pour dissocier les économies des combustibles fossiles, faire face aux impacts du changement climatique, notamment en fournissant un financement adéquat au Fonds des pertes et dommages, protéger et restaurer les écosystèmes, ainsi que promouvoir des systèmes alimentaires durables et des institutions financières respectueuses de l’environnement. 

Le groupe de travail sur la justice et la transformation économiques appelle le G7 à piloter la transformation de l’ensemble du système nécessaire pour répondre aux crises multiples, notamment en réformant l’architecture internationale de la dette et de la fiscalité, en réinventant l’Organisation mondiale du commerce, en appliquant une législation obligatoire en matière de droits de la personne et de diligence raisonnable en matière d’environnement, et en promouvant une économie numérique inclusive et digne de confiance. 

Les recommandations du groupe de travail sur la santé mondiale soulignent la protection et la promotion de l’équité en matière de santé et de la solidarité mondiale afin de garantir les droits de chacun au meilleur état de santé physique et mentale possible. Pour ce faire, les dirigeant-e-s du G7 doivent investir dans la couverture sanitaire universelle, renforcer l’infrastructure sanitaire mondiale en tirant les leçons de la pandémie de grippe aviaire de 19 ans, et donner la priorité aux politiques co-bénéfiques en matière de santé et d’environnement. 

Reconnaissant que le système humanitaire soit soumis à d’énormes pressions, le groupe de travail sur l’aide humanitaire et les conflits demande aux dirigeant-e-s du G7 de réimaginer un système humanitaire qui anticipe réellement les besoins, donne la priorité aux personnes les plus menacées et préserve un espace indépendant des agendas politiques. 

Le groupe de travail sur les sociétés ouvertes et résilientes plaide pour des sociétés plus démocratiques et plus justes, et pour la protection de l’action de la société civile. Le groupe de travail demande au G7 de respecter les principes des droits de la personne en paroles et en actes, chez lui et à l’étranger, en s’engageant à lutter contre les violations des droits de la personne, la discrimination à l’égard des minorités, la corruption et les restrictions de l’espace civique. 

 

Le sommet du C7 

Le Communiqué a été remis publiquement au sherpa du G7, le ministre d’État aux Affaires étrangères du Japon, le premier jour du Sommet du C7. Le sommet a réuni les participant-e-s en personne et en ligne lors de sessions plénières, y compris un panel de mise en scène avec le sous-sherpa du G7 du Japon, modéré par Coopération Canada, et plusieurs sessions en petits groupes dirigées par les différents groupes de travail. 

La collaboration a été un aspect important du sommet. Les dirigeant-e-s japonais-e-s du C7 ont tenu à assurer la présence à Tokyo d’acteurs de la société civile du Sud afin de démontrer la nature mondiale du processus du C7 au-delà des pays du G7. La coalition du C7 a également organisé une table ronde avec des représentant-e-s d’autres groupes d’engagement du G7, notamment Labour7, qui a publié une déclaration commune du C7 après le sommet, Pride7, Science7, Think7, Women7, un groupe qui est devenu officiel en 2018 lorsque le Canada a exercé la présidence du G7 pour la dernière fois, et Youth7. 

 

Le Sommet des peuples 

Les représentant-e-s du C7 se sont joint-e-s aux citoyens d’Hiroshima lors du Sommet des peuples organisé les 16 et 17 avril 2023, afin de souligner l’importance du lieu et son message de paix avant la réunion du G7. La ville d’Hiroshima, qualifiée de ville internationale de la paix, renaît littéralement de ses cendres après la dévastation causée par la première bombe atomique lancée par les États-Unis en 1945. Dans le contexte actuel d’instabilité mondiale et de risque nucléaire croissant, il n’est pas surprenant que le Japon ait choisi d’accueillir le sommet du G7 de mai à Hiroshima.  

Tout au long du Sommet des peuples, la présence et les témoignages des Hibakusha (survivant-e-s de la bombe atomique) ont rappelé avec force l’inhumanité des armes nucléaires et la nécessité urgente de s’engager pour leur abolition dans le monde entier. Reconnaissant que certaines voix voudraient que le Japon devienne un pays « normal » qui investit davantage dans la défense et l’armement, les participant-e-s au Sommet des peuples ont demandé que le Japon soit un pays « spécial », un pays qui se souvient des horreurs de la guerre et des armes nucléaires et qui est déterminé à ce que cela ne se reproduise plus. 

 

Les organisations canadiennes s’engagent en vue du Sommet du G7 et au-delà 

Coopération Canada et certains de ses membres se sont engagés auprès du gouvernement afin de comprendre les priorités du Canada pour le Sommet du G7 de cette année. Des représentant-e-s du Humanitarian Policy and Advocacy Group (HPAG) ont rencontré le 27 avril Gallit Dobner, directeur exécutif d’Affaires mondiales Canada et sous-sherpa du G7/G20, afin de comprendre les priorités du Canada pour le Sommet du G7, en particulier en ce qui concerne la crise de la faim et la prévention de la famine. Les représentant-e-s de HPAG apprécient que le communiqué des ministres des affaires étrangères d’avril 2023 réaffirme l’engagement du G7 à l’égard du pacte de prévention de la famine, mais ils espèrent que ce pacte sera actualisé pour tenir compte des défis actuels. Les représentant-e-s ont également souligné les possibilités de contribuer aux conversations futures sur la nutrition et la sécurité alimentaire dans le cadre du processus du G20 cette année et sous la présidence de l’Italie en 2024. 

Le 2 mai, Coopération Canada a participé à une réunion avec David Morrison, sous-ministre des Affaires étrangères et sherpa du G7, ainsi qu’avec d’autres groupes d’engagement, officiels comme Business7, Science7, Think7, Women7 et Youth7, et non officiels comme Pride7, University7 et Urban7. Le sherpa a ouvert la réunion en évoquant les changements radicaux et les crises complexes qui assaillent le monde, après des décennies de prospérité pour les pays du G7. Ce contexte de polycrise, évidemment dominé par la guerre en Ukraine, a conduit à des niveaux d’engagement sans précédent entre les pays du G7 depuis 2022 : les chefs d’État se sont réunis six fois, tandis que les ministres des affaires étrangères se sont rencontrés à 12 reprises. Coopération Canada a profité de cette réunion pour partager les principales recommandations du Communiqué du C7. 

Alors que Coopération Canada s’engage dans ce processus du G7, nous nous tournons également vers 2025, date à laquelle le Canada assurera la présidence du G7. Nous sommes impatient-e-s de nous engager avec les membres de Coopération Canada et d’autres partenaires du Canada dans le monde entier, dans la perspective de 2025. Nous pensons que des synergies positives et un dialogue constructif entre la société civile et le gouvernement sont essentiels pour surmonter les crises actuelles qui se croisent, et qu’ils sont indispensables à nos efforts collectifs pour œuvrer en faveur d’un monde plus juste, plus sûr et plus durable pour tous-tes. 

 

 

Andy Ouedraogo

Andy Ouedraogo

Agente de recherche et de programme
Carelle Mang-Benza

Carelle Mang-Benza

Responsable des politiques
Darron Seller-Peritz

Darron Seller-Peritz

Analyste politique et responsable de programme
Nicolas Parent

Nicolas Parent

Analyste des politiques