Cet article fait partie de la série Pleins feux sur le Triple lien de Coopération Canada. Il a été initialement publié le 30 octobre 2014.  (https://mccintersections.wordpress.com/2014/10/30/humanitarian-assistance-and-social-cohesion-in-syria/ 

 

Dans toute situation de crise ou de conflit, l’aide humanitaire vise à répondre aux besoins fondamentaux liés à la subsistance des personnes les plus touchées. Répondre aux besoins liés à la sécurité alimentaire, à l’eau, à l’assainissement, à l’hygiène et aux abris implique des considérations techniques qui requièrent une attention immédiate. Toutefois, la fourniture d’une aide humanitaire offre également l’occasion d’engager les communautés touchées dans un travail stratégique moins évident, mais tout aussi essentiel, visant à préserver et à renforcer la cohésion sociale. Il s’agit là de situations stratégiques dans lesquelles l’approche du triple lien peut être mise en œuvre, en associant les programmes humanitaires, de développement et de paix. 

Grâce à des initiatives locales qui favorisent les relations positives au sein des communautés menacées par les facteurs de division du sectarisme, la solidarité et la confiance peuvent être atteintes et maintenues au milieu d’un conflit ouvert. Cette conviction est au cœur de la philosophie du Forum pour le développement, la culture et le dialogue (FDCD), partenaire du Mennonite Central Committee, qui aborde son travail d’assistance humanitaire sous l’angle de la paix pour les personnes déplacées à l’intérieur de la Syrie. 

Bien que la crise syrienne ait épargné peu de monde en se déplaçant de village en village, certaines zones sont restées des havres de paix relatifs pour les personnes forcées de fuir leurs maisons en raison d’une violence intense et souvent aveugle. La région de Qalamoun, qui chevauche l’autoroute reliant Damas à Homs dans le centre de la Syrie, est l’une de ces zones. La diversité de la composition de la région offre un contexte particulier pour observer la pratique tactique de la distribution de l’aide humanitaire dans un environnement multiconfessionnel où les villages sont souvent séparés par des groupes confessionnels. 

Bien que les communautés syriennes soient connues depuis longtemps pour leur hospitalité, des tensions entre les communautés d’accueil existent à Qalamoun, comme partout en Syrie, en particulier lorsque les ressources sont rares. Malgré ces difficultés, les habitants de Qalamoun ont été en mesure de répondre aux besoins de celles et ceux qui cherchaient à fuir les violences intenses à Alep, Homs et Damas. En plus d’accueillir les familles déplacées dans leurs magasins, leurs maisons et leurs écoles, les habitant-e-s de Qalamoun ont immédiatement commencé à organiser des efforts pour fournir de la nourriture et des articles d’hygiène à leurs nouveaux hôtes. Au fur et à mesure de l’arrivée des personnes déplacées, la nécessité d’une aide humanitaire plus importante est devenue évidente. Le FDCD, en étroite collaboration avec ses contacts dans la région de Qalamoun, a formé un réseau interconfessionnel local de distributeur-trice-s et de coordinateur-trice-s pour répondre à la crise. 

L’inclusion délibérée de partenaires chrétien-ne-s et musulman-e-s dans ce processus a permis de faire progresser la dimension de paix de l’approche Nexus utilisée par le FDCD. Au-delà de la distribution réussie d’une aide en nature aux familles déplacées, ce réseau a produit de nouvelles formes de confiance et de coopération entre les groupes confessionnels. 

La réponse de la communauté à la tentative de l’opposition syrienne de contrôler la région, y compris la ville de Sadad, en saisissant les véhicules et en limitant la capacité des résident-e-s locaux-ales à évacuer la zone, en est une preuve supplémentaire. Face à cette situation, le réseau interconfessionnel du FDCD a rapidement coordonné un effort pour fournir des moyens de transport. Lorsque la présence de forces antigouvernementales dans la région a rendu les déplacements des non-musulman-e-s risqués et fortement entravés, les communautés musulmanes de Qalamoun ont utilisé leurs propres véhicules pour faciliter l’évacuation en toute sécurité des membres de la communauté chrétienne vers d’autres villages de la région. À cet égard, le partenariat approfondi facilité par l’organisation et la distribution de l’aide humanitaire dans le Qalamoun s’est avéré inestimable pour la protection de la communauté chrétienne pendant cette période de persécution et de crise. 

Si la bataille de Qalamoun a sans aucun doute été destructrice, l’expérience du FDCD montre comment un réseau interconfessionnel a contribué de manière importante à atténuer les effets du conflit armé. Comme nous l’avons vu plus haut, les avantages stratégiques de son approche délibérée de la distribution humanitaire sont évidents, soutenus par un objectif de paix supplémentaire centré sur la cohésion sociale interconfessionnelle. 

Une communauté historiquement diverse dans le Qalamoun continue, à ce jour, à fournir un exemple de la façon dont les musulman-e-s et les chrétien-ne-s peuvent travailler pour naviguer dans les tensions actuelles entre les communautés d’accueil et les communautés déplacées dans le contexte du conflit syrien en cours. Alors que de nombreuses communautés syriennes sont victimes du cercle vicieux de la haine, de l’exclusion et de la persécution, l’expérience du FDCD témoigne de la valeur des approches interconfessionnelles locales de la paix et de l’humanitaire. Bien que nous ne puissions pas prédire quand la crise syrienne prendra fin, la préservation de nouvelles formes de cohésion sociale résultant de ce réseau interconfessionnel sera cruciale pour le redressement rapide du pays et le développement post-conflit. Ces relations continues deviendront essentielles pour empêcher la propagation de la haine et du sectarisme, en travaillant ensemble pour parvenir à la compréhension mutuelle, au respect, à la coexistence et au dialogue. 

 

Leçons tirées de la MCC :   

  • Compte tenu de l’attention accrue portée à l’approche du triple Nexus, une planification stratégique est nécessaire dès la phase de conception du programme. 
    • C’est une simplification excessive de supposer que, par exemple, quelques ateliers de consolidation de la paix permettront d’atteindre cet objectif. Il est nécessaire de réfléchir à la manière de contribuer à la cohésion sociale et au relèvement/développement à long terme et de l’intégrer dans la planification. 
  • Des ressources sont nécessaires avant la mise en œuvre du projet pour effectuer une analyse/carte des conflits appropriée. 
    • Il existe toujours un risque que l’aide humanitaire soit utilisée/détournée pour s’aligner sur les objectifs politiques locaux/régionaux 
    • Les ONG doivent être conscientes de cette dynamique lorsqu’elles mettent en œuvre de grands projets humanitaires. 
  • Les donateurtrices ont besoin d’un financement flexible. 
    • Alors que les donateurtrices institutionnel-le-s encouragent une approche triple Nexus, la plupart des financements sont encore limités à certaines activités (par exemple, la sécurité alimentaire). Avec des ressources limitées ou restreintes, les ONG peuvent avoir du mal à savoir comment intégrer la cohésion sociale et les programmes de développement, en particulier lorsque les ressources sont limitées pour d’autres domaines que les donateurtrices veulent privilégier : le genre, la protection, le renforcement des capacités, etc. 
  • Les donateurtrices doivent penser à long terme. 
    • La plupart des financements institutionnels sont à court terme, mais il n’est pas réaliste d’adopter une approche triple Nexus avec des financements à court terme. Les changements dans la cohésion sociale ou le passage de l’aide humanitaire au relèvement précoce/au développement impliquent une réflexion à long terme. 

 

Leçons tirées du FDCD :

  • Pour maintenir une paix durable, les ressources doivent être partagées sans discrimination et les besoins de la communauté d’accueil doivent également être pris en compte en priorité. Ce cas montre que lorsqu’ils sont traités sur un pied d’égalité, les chrétien-ne-s et les musulman-e-s reconnaissent la dignité de chacun.
  • Lorsque des organisations locales et internationales s’unissent, comme la MCC et le FDCD, pour mettre en œuvre Triple Nexus au sein des communautés confrontées au conflit en Syrie, cela peut favoriser l’harmonie, l’instauration de la confiance et la réconciliation de la population après des années de guerre et de conflit.
Cet article a été publié pour la première fois en 2014 dans la publication trimestrielle du MCC, Intersections, et rédigé par Riad Jarjour, secrétaire général du Groupe arabe pour le dialogue islamo-chrétien et président du Forum pour le développement, la culture et le dialogue (FDCD), basé au Liban. et Andrew Long-Higgins, ancien stagiaire au FDCD. Cette pièce a été mise à jour pour Coopération Canada en 2023 par Garry Mayhew.