En marge du lancement du rapport Tendances de l’aide canadienne 2023, son auteur, Brian Tomlinson, directeur général d’AidWatch Canada, a rencontré Darron Seller-Peritz, analyste politique et responsable de programme à Coopération Canada, pour discuter des objectifs du rapport et de la vision de Brian sur l’avenir de la coopération internationale. 

 

Quel est le contexte spécifique qui vous a mené aux conclusions de cette analyse et pourquoi à ce moment-là ? 

Le niveau de l’aide canadienne est une mesure cruciale de nos responsabilités internationales, notamment en ce qui concerne l’engagement pris de longue date par les Nations unies de consacrer 0,7 % du revenu national brut à l’aide. Cependant, je pense qu’il est tout aussi important de comprendre l’évolution des canaux et des modalités par lesquels le Canada travaille avec ses partenaires internationaux pour soutenir une coopération efficace en matière de développement. 

La portée et l’affectation de l’aide canadienne ont évolué au cours de la dernière décennie, répondant de manière nouvelle aux défis mondiaux urgents (la pandémie et l’aggravation de la crise climatique) ainsi qu’aux préoccupations du Canada en matière de politique étrangère. La motivation de cette étude était de documenter les changements apportés à l’aide dans le contexte canadien afin de mieux comprendre les tendances actuelles et d’éclairer les priorités de notre plaidoyer en faveur de l’aide. 

L’un des principaux objectifs d’AidWatch Canada, en tant que membre de Coopération Canada, est d’être une ressource pour l’ensemble de la communauté des OSC. En fin de compte, ce rapport est une ressource pour les membres et d’autres personnes du gouvernement et du monde universitaire, et je m’attends à ce que Coopération Canada veuille continuer à le mettre à jour. Nous pouvons en faire un document vivant grâce à des commentaires, des questions et des propositions de travaux futurs sur les tendances décrites dans le rapport. 

Le rapport décrit de nombreuses tendances dans l’APD canadienne. Quelles sont, selon vous, les tendances les plus importantes à surveiller dans les années à venir ? 

Le rapport met en lumière un certain nombre de domaines cruciaux et interdépendants qu’il sera important de suivre de près en raison de leur impact sur l’aide canadienne dans les années à venir. 

Le gouvernement a promis d’augmenter l’aide chaque année jusqu’en 2030, mais n’a pas réussi à définir clairement la portée et l’intention de ces augmentations. Nous avons besoin d’une grande transparence dans les budgets annuels de l’enveloppe de l’aide internationale, avec un plan fiscal clair et détaillé jusqu’en 2030. En tant que référence pour un futur gouvernement, un tel plan public est encore plus crucial l’année prochaine, alors que nous entrons dans une période électorale à l’issue incertaine. 

Le poids du financement climatique dans l’APD canadienne augmente, le Canada ayant doublé son engagement quinquennal en matière de financement climatique en 2020. Quel sera l’impact d’un nouvel objectif de financement climatique post-2025 qui réponde réellement aux besoins des pays et des populations très vulnérables sur les priorités de l’aide canadienne jusqu’en 2030 ?  Ces priorités viendront-elles s’ajouter à d’autres priorités d’aide visant à réduire la pauvreté et les inégalités ou entreront-elles en concurrence avec elles ? 

Alors que le Canada s’appuie sur les canaux multilatéraux et de la société civile pour acheminer son aide, comment cette aide reflétera-t-elle les principes essentiels de l’efficacité du développement (appropriation par le pays, partenariats inclusifs, alignement sur les plans de résultats nationaux, responsabilité et transparence) afin de renforcer le leadership du gouvernement et de la société civile en partenariat au niveau du pays ? 

Enfin, les tendances récentes montrent que le gouvernement se préoccupe de mobiliser des fonds du secteur privé pour ses programmes de développement. Nous devons surveiller de près la façon dont la dépendance continue du Canada à l’égard des mécanismes de financement mixte avec le secteur privé aura un impact sur les objectifs primordiaux de l’aide canadienne en tant que ressource qui s’attaque directement aux conditions des personnes vivant dans l’extrême pauvreté, l’insécurité alimentaire croissante, les inégalités persistantes entre les hommes et les femmes et d’autres types d’inégalité. 

À la lumière des conclusions du rapport, comment les différentes parties prenantes, y compris le public canadien, les organisations de la société civile et les partenaires internationaux, peuvent-elles s’engager dans le rapport et ses recommandations pour plaider en faveur de changements positifs dans les politiques canadiennes en matière d’APD ? 

Le rapport est un document de référence que les membres de Coopération Canada peuvent utiliser pour concevoir leurs actions de plaidoyer en faveur de l’APD canadienne. Bien qu’il mette en évidence des tendances importantes, comme indiqué ci-dessus, il ne suggère pas de pistes spécifiques pour le plaidoyer. Cette prérogative revient à Coopération Canada et à ses membres. L’aperçu des tendances actuelles présenté dans le rapport peut suggérer des orientations futures importantes pour l’aide canadienne. Mais une analyse plus approfondie de l’environnement politique général et un examen plus détaillé des objectifs spécifiques de l’aide canadienne seront nécessaires. 

Les OSC ayant des intérêts sectoriels particuliers, par exemple, peuvent souhaiter développer les conclusions générales du rapport par une recherche plus détaillée. Les membres de Coopération Canada qui sont organisés en diverses coalitions politiques peuvent souhaiter poursuivre ce niveau d’analyse. AidWatch Canada, par exemple, travaille en étroite collaboration avec la Coalition canadienne des OSC sur le climat et le développement (C4D) pour analyser en détail le financement climatique du Canada. Je m’attends à ce que le personnel politique de Coopération Canada soit également une ressource pour les membres, non seulement pour maintenir et mettre à jour les données des rapports, mais aussi pour explorer des domaines d’intérêt pour l’ensemble des membres. 

Au fil des ans, vous avez assisté à de nombreux changements dans le secteur canadien de l’APD, ainsi qu’à une évolution des priorités et des tendances. Comment voyez-vous l’APD canadienne dans 10 ou 20 ans ? 

Les priorités et les tendances de l’aide canadienne ont en effet connu de nombreux changements au cours des décennies. Aujourd’hui, nous nous trouvons peut-être à un moment charnière pour l’aide, un moment où le Canada peut influencer, mais non déterminer, les tendances futures. Ces dernières ont été déterminées par les principaux donateur-trice-s. Ce moment est également profondément influencé par la convergence des crises mondiales, qui ont révélé des faiblesses substantielles et la nécessité de réformer l’architecture financière internationale. 

Aux Nations unies, au G20, à la Banque mondiale et à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), le Canada et la communauté internationale sont aux prises avec diverses propositions visant à réformer une architecture financière internationale vieille de 60 ans qui est devenue largement dysfonctionnelle. Alors que nous cherchons la meilleure façon d’aller de l’avant, nous devons répondre à quelques questions : 

      • Où l’aide, qui est la seule ressource disponible pour les programmes de lutte contre la pauvreté et l’inégalité, doit-elle s’insérer dans l’architecture financière émergente pour les pays en développement, et où le fera-t-elle ? 
      • Ces réformes créeront-elles des ressources nouvelles et essentielles pour faire face non seulement aux impacts irréversibles de la crise climatique, mais aussi à la perte de biodiversité et aux menaces croissantes des pandémies actuelles et futures, ou s’appuieront-elles sur des ressources d’aide limitées, marginalisant davantage d’autres objectifs cruciaux pour la réduction de la pauvreté et de l’inégalité ? 
      • Compte tenu de ces tendances, pouvons-nous rétablir l’objectif principal de l’aide en tant que ressource essentielle consacrée à la priorité de l’Agenda 2030 consistant à « ne laisser personne de côté », en mettant l’accent sur les systèmes de santé, l’éducation et la société civile au niveau des pays partenaires ? 

Il est très difficile de prévoir comment ces tensions se traduiront en termes d’aide dans cinq ou dix ans. Les orientations dépendent fortement des tendances de la polarisation politique actuelle dans les pays donateurs, y compris le Canada, des impacts croissants de la crise climatique, de l’augmentation des besoins humanitaires et des tensions géopolitiques, y compris la guerre en Ukraine. J’espère que la société civile internationale, y compris les membres de Coopération Canada, continuera à défier et à contester ces tendances, dans le but de sauvegarder l’aide en tant que ressource permettant de ne laisser personne de côté.  

Les résultats futurs de l’aide ne sont pas prédéterminés. J’espère que ce rapport pourra commencer à alimenter d’autres discussions, non seulement sur les tendances attendues, mais aussi sur les stratégies visant à réorienter l’augmentation de l’aide vers le renforcement des pays en développement et de leurs citoyens afin d’obtenir des résultats qui profitent à la fois aux populations et à la planète. 

Accédez aux faits saillants du rapport Tendances de l’aide canadienne 2023.

Darron Seller-Peritz

Darron Seller-Peritz

Analyste politique et responsable de programme