En juin, Coopération Canada a tenu une session consacrée aux efforts déployés par l’ensemble du secteur pour s’attaquer au cadre réglementaire désuet de « direction et de contrôle » qui entrave considérablement l’établissement de relations équitables avec les communautés et les organismes sans statut d’organisme de bienfaisance. Au moment où le secteur se prépare à une nouvelle saison d’efforts de changement législatif, nous espérons que ces questions et réponses seront utiles.

 

Pourquoi parlons-nous (encore) des exigences de « direction et de contrôle » de l’Agence du revenu du Canada?

 

Le secteur de la coopération internationale est en train de subir une transformation : les cadres de gouvernance mondiale soulignent de plus en plus l’importance d’établir des partenariats équitables avec les organisations de la société civile locale et d’autres partenaires non traditionnels dans la construction d’un monde plus sain, plus équitable et plus durable pour nous tous. Ces principes sont reconnus dans des cadres mondiaux tels que le Programme de développement durable à l’horizon 2030 (Programme 2030), le « Grand Bargain » pour l’action humanitaire, et des instruments de politique tels que la Recommandation sur le renforcement de la société civile par le Comité d’aide au développement de l’Organisation de coopération et de développement économiques (CAD de l’OCDE). Le cadre de politique propre au Canada, tel que la Politique d’aide internationale féministe (PAIF), épouse les mêmes valeurs. Cependant, la capacité des organismes de bienfaisance canadiens à établir des partenariats équitables avec divers acteurs travaillant dans des contextes nationaux et internationaux est limitée par un cadre législatif vieux de 70 ans, appelé « direction et contrôle ».

 

Qu’est-ce que la « direction et contrôle »?

 

Les organismes de bienfaisance canadiens sont régis par les lignes directrices CG-002 et CG-004 de l’Agence du revenu du Canada (ARC) qui fixent respectivement les conditions dans lesquelles les organismes de bienfaisance canadiens peuvent travailler avec des acteurs non caritatifs à l’échelle internationale et au Canada. S’appuyant sur des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu datant des années 1950, ces règlements représentent une exception législative mondiale, exigeant que tous les organismes de bienfaisance canadiens enregistrés mettent en œuvre leurs « propres activités » lorsqu’ils travaillent avec des organismes de bienfaisance non enregistrés, et qu’ils exercent « une direction et un contrôle complets » sur ces activités.

 

Pour les organismes de bienfaisance canadiens enregistrés qui soutiennent un projet d’un partenaire local sans statut d’organisme de bienfaisance, la réglementation en matière de « direction et de contrôle » impose la nécessité d’un accord écrit qui relègue ces partenaires locaux, qui sont généralement ceux qui possèdent les connaissances spécifiques au contexte, les liens communautaires et l’initiative du projet donné, au rôle d’« intermédiaires » nécessitant une micro-gestion. En d’autres termes, le personnel des organismes caritatifs canadiens est légalement obligé d’insister sur des processus de conformité qui minent la capacité d’action et l’indépendance des acteurs sans statut caritatif.

 

Dans les contextes humanitaires où ces contraintes coûtent des vies et des moyens de subsistance, les organismes de bienfaisance du Canada représentent encore une fois une exception mondiale. Après une catastrophe et une crise, la rapidité et la coordination sont importantes. C’est pourquoi la communauté internationale a de plus en plus recours au « financement commun », où divers acteurs contribuent à une intervention coordonnée de manière centralisée par des acteurs locaux préalablement sélectionnés. Les organismes de bienfaisance canadiens ne peuvent pas légalement participer à la plupart des fonds communs et sont contraints de consacrer davantage de ressources à de lourdes exigences en matière de rapports. Cela signifie que les contributions des Canadiens et Canadiennes à la résolution des problèmes mondiaux sont dépensées de manière moins efficace.

 

Comment « Direction et contrôle » perpétue-t-il l’inégalité?

 

La législation sur la « direction et le contrôle » empêche les organismes de bienfaisance canadiens de soutenir les organisations communautaires et à but non lucratif, comme l’a confirmé Kevin McCort, président et directeur général de la Fondation Vancouver, lors du Forum 2021 de Coopération Canada. Alors que les acteurs locaux se sont avérés être les plus efficaces pour répondre aux besoins de la communauté, notamment tout au long de la pandémie de la COVID-19, ils ne reçoivent pas un soutien suffisant.

 

Plus une communauté est marginalisée, moins il est probable qu’elle ait des organismes de défense de ses intérêts ayant un statut d’organisme de bienfaisance. En rendant plus difficile l’accès au financement pour les groupes en quête d’équité, la législation canadienne perpétue l’inégalité. Les résultats de ces systèmes sont clairs : une étude nationale de l’Université Carleton a révélé que seulement 0,7 % des subventions accordées en 2017/2018 ont été attribuées à des organisations défendant les intérêts des Noirs, et seulement 0,07 % à des organisations dirigées par des Noirs. De même, cette analyse de la base de données de la Déclaration de renseignements des organismes de bienfaisance enregistrés pour 2018 montre que les groupes autochtones (définis à l’aide du Fonds de solidarité des peuples autochtones élaboré par Wanda Brascoupe pour CanadaHelps) n’ont reçu qu’un dollar pour chaque 178 dollars alloués aux groupes non autochtones.

 

Au niveau international, les chiffres ne sont pas meilleurs. Ce rapport de l’OCDE de 2016 montre que moins de 1 % du financement mondial est alloué aux organisations de défense des droits des femmes dans les pays historiquement défavorisés, et le rapport Grand Bargain de 2021 a constaté que l’engagement de « localisation » n’a pas été atteint.

 

Comment les règlements « direction et contrôle » ont-ils été mis à jour en novembre 2020?

En novembre 2020, l’ARC a mis à jour les documents d’orientation susmentionnés afin de les clarifier et de les modifier en fonction du contexte. Au cours de la même session du Forum 2021, en juin 2021, Tony Manconi, le directeur général de la Direction des organismes de bienfaisance de l’ARC, a présenté ces mises à jour. Les efforts visant à clarifier la terminologie ont consisté, par exemple, à remplacer des expressions telles que « agent » et « contrat d’agence » par « intermédiaire » et « contrat d’intermédiaire » et à clarifier la définition du terme « capital » afin d’inclure les « biens immobiliers, terrains » et « biens immeubles sur terrains ».

 

En ce qui concerne les changements qui modifient effectivement les attentes de l’ARC, une mise à jour notable est celle de l’augmentation du seuil pour les projets nécessitant des accords formels de 1 000 à 5 000 dollars. En outre, l’ARC n’exigera plus que les partenaires non caritatifs utilisent un compte bancaire distinct pour les fonds de bienfaisance, mais les dossiers financiers devront être entièrement comptabilisés et liés aux dépenses déclarées. Selon les dernières directives, les organismes de bienfaisance doivent faire preuve de « direction et de contrôle » par le biais d’accords écrits, de descriptions détaillées des activités du projet, d’un suivi et d’une supervision, de rapports réguliers, d’instructions continues, de transferts périodiques et d’activités et de fonds clairement séparés. La nouvelle directive clarifie également la définition de « livres et registres adéquats » pour les catégories à faible et à haut risque.

 

Bien qu’utiles, ces modifications apportées par l’ARC ne résolvent pas la question centrale de la « direction et du contrôle », axée sur la micro-gestion des activités des partenaires locaux et sur la fragilisation de leur capacité à agir. Le critère de « direction et de contrôle » étant solidement ancré dans la jurisprudence de la Loi de l’impôt sur le revenu, la marge de manœuvre réglementaire de l’ARC est extrêmement limitée. Pour modifier véritablement ce cadre désuet, il faut apporter un changement législatif à la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

Quelle est l’approche législative proposée?

Des efforts importants ont été déployés pour éclairer les réformes législatives du cadre « direction et contrôle ». Le Comité consultatif sur le secteur de la bienfaisance (CCSB), créé en 2019 pour promouvoir le dialogue entre l’ARC, le ministère des Finances et les experts du secteur de la bienfaisance, a émis des recommandations exposées dans les rapports de janvier 2021 et d’avril 2021 alignés sur les rapports précédents réalisés depuis 2012. Il s’agit notamment du Rapport 2019 du Comité sénatorial spécial sur le secteur de la bienfaisance, qui suggère de supprimer le critère des « activités propres » de la Loi de l’impôt sur le revenu et de se concentrer plutôt sur le critère de la responsabilité des dépenses. La réponse du gouvernement à ce rapport n’a toutefois pas tracé une voie claire pour aller de l’avant.

 

Pour s’éloigner des approches de conformité basées sur les activités et renforcer la responsabilité financière des acteurs du secteur de la bienfaisance, la sénatrice Ratna Omidvar a proposé le projet de loi S-222 des membres privés, qui a été adopté au Sénat le 17 juin 2021. Comme l’a expliqué la sénatrice lors de la session du Forum de coopération de juin, le projet de loi S-222 s’appuie sur des exemples de pays comme les États-Unis et se focalise sur la responsabilité financière, ce qui laisse davantage de place à l’élaboration de règlements ultérieurs de l’ARC en consultation avec le secteur. En outre, comme l’affirme un groupe d’avocats spécialisés dans les organismes de bienfaisance qui soutient ce projet de loi, celui-ci n’érode pas les garde-fous existants autour d’autres aspects de la réglementation des organismes de bienfaisance, notamment ceux liés à la lutte contre le terrorisme et aux produits de la criminalité (blanchiment d’argent).

 

Selon la sénatrice Omidvar, le projet de loi S-222 vise à renforcer les dispositions relatives à la responsabilité en élargissant la définition des activités de bienfaisance et en définissant des étapes raisonnables pour assurer la responsabilité des ressources. Il s’agit notamment de remplacer la direction et le contrôle opérationnels par un contrôle préalable complet et d’établir des accords de partenariat qui, conformément aux normes internationales, énuméreraient les résultats attendus et l’impact, les exigences en matière de rapports, ainsi que les engagements budgétaires et au niveau des activités. Les acteurs non caritatifs resteraient responsables de l’utilisation des ressources à des fins caritatives déclarées et des résultats souhaités, mais la responsabilité légale de la gestion du projet et du contrôle financier incomberait à leur institution.

 

Quelles sont les prochaines étapes potentielles?

Le projet de loi S-222 a été approuvé en juin 2021, grâce au soutien de tous les partis au Sénat, ce qui, selon la sénatrice Omidvar, traduit une compréhension commune de l’importance et de l’urgence des modifications proposées. Le député Philip Lawrence, porte-parole du Parti conservateur pour le revenu national, s’est engagé à déposer le projet de loi à la Chambre des communes. Cependant, les élections fédérales canadiennes ont interrompu ce processus de changement législatif et cet automne, le projet de loi devra être présenté à nouveau.

 

Si le projet de loi S-222 est adopté à la fois par la Chambre des communes et le Sénat cette fois-ci, l’ARC aura deux ans pour produire des directives réglementaires qui rendent opérationnelles les nouvelles dispositions et clarifient ce qu’impliquerait, par exemple, un processus de diligence raisonnable acceptable ou un accord de partenariat.

 

Comment les membres de Coopération Canada peuvent-ils s’engager?

Afin de soutenir les efforts du secteur pour amender la législation sur la « direction et le contrôle », les membres de Coopération Canada sont invités à se joindre à un groupe de travail dédié à cet agenda. Le groupe sera codirigé par Céline Füri (Oxfam-Québec) et John Clayton (Samaritan’s Purse). Le groupe partagera des informations et des ressources, et coordonnera les actions de plaidoyer en collaboration avec d’autres groupes nationaux. Pour vous engager, vous pouvez :

 

  • En apprendre davantage sur ce sujet et consulter des ressources supplémentaires sur cette page de Coopération Canada.
  • Vous joindre au groupe de travail « Direction et contrôle » en utilisant le portail des membres de Coopération Canada. Contactez Fanta Diaby pour obtenir de l’aide avec le portail et soyez attentifs à l’invitation à la réunion de septembre.

 

Participez à la session du groupe de travail sur ce sujet mercredi 17 novembre à 14h. Inscrivez-vous ici.