En mars 2020, la ministre du Développement international Karina Gould a annoncé l’enclenchement d’une première phase de soutien du Canada pour endiguer la pandémie mondiale de covid-19. Les 159,5 millions de dollars annoncés ont été surtout attribués à des institutions multilatérales. Ils incluent des fonds destinés au développement d’un vaccin et à des interventions demandées au Canada par des pays partenaires du développement. Le 27 juin, le gouvernement a annoncé l’ajout de 300 millions de dollars qui serviront à contenir la pandémie de covid-19. Ces fonds proviennent de réserves non attribuées du fonds d’aide à l’aide étrangère du Canada.  

Bien que le Canada ait émis des signaux positifs au sujet de son soutien dans le contexte de la pandémie, tous les pays – dont le Canada – devront augmenter le montant de leur contribution. D’une part, le Canada s’est engagé à maintenir le cap par rapport aux priorités actuelles au chapitre du développement, offrant aux partenaires la souplesse nécessaire pour adapter leurs activités dans une certaine mesure et reconnaissant que les priorités à long terme du développement demeurent importantes même s’il faut s’adapter à une nouvelle réalité. D’autre part, les montants de l’aide étrangère du Canada et d’autres sources de soutien financier étaient déjà insuffisants et ne répondaient pas aux exigences du Programme de développement durable à l’horizon 2030 des Nations Unies. Le rapport annuel de 2020 du Groupe de réflexion interinstitutions des Nations unies sur le financement du développement fait état d’un nombre élevé de tendances inquiétantes qui affectent le financement du développement international. Il cite notamment le recul des investissements dans l’aide étrangère en 2018 (bien qu’une légère hausse ait été relevée en 2019 en chiffres absolus), une augmentation des risques financiers, un risque élevé d’endettement par les pays en développement aussi constaté avant la pandémie, la hausse des restrictions commerciales, les répercussions négatives des perturbations environnementales et les pertes occasionnées par des événements climatiques survenus entre 2014 et 2018 en hausse de 30 % depuis les cinq années précédentes. L’analyse des investissements récents dans l’aide étrangère laisse supposer qu’il se produira une baisse considérable de tous les montants en 2021 du fait que les gouvernements consacreront leurs ressources à l’économie intérieure en raison de la covid-19.  

Le financement déjà limité diminue mais les besoins vont croissant. De nombreux pays affrontaient déjà des crises en matière de développement durable avant la pandémie. Ces crises ont été exacerbées et on s’attend à ce qu’elles continuent de s’amplifier en raison de la covid-19 et des impacts secondaires du virus. En Afrique, cela s’est traduit par des infestations de sauterelles, la sécheresse et des pertes dans les échanges commerciaux avec l’étranger. La situation des pays aux prises avec une pénurie de denrées ne peut que se détériorer compte tenu des mesures mises en place pour contenir la pandémie, par exemple le confinement et la fermeture des frontières. Partout dans le monde, la covid-19 affectera exagérément les populations féminines car elles sont plus susceptibles entre autres de subir de la violence sexospécifique, de se marier avant leur majorité, d’avoir difficilement accès aux services liés à la santé et aux droits sexuels et reproductifs et de ne plus fréquenter l’école. Dans de nombreux pays, les interventions gouvernementales destinées à endiguer la pandémie, dont le confinement et la fermeture des frontières, risquent d’amplifier une régression vers l’isolationnisme, le populisme et l’autoritarisme en créant des environnements propices aux mesures répressives telles que la violation des droits de la personne, la fermeture de l’espace civique et la propagation de la désinformation. Un nombre de ces préoccupations ont également été soulevées dans le récent rapport intitulé Une crise mondiale exige une réponse mondiale par l’honorable Bob Rae, envoyé spécial du Canada pour les enjeux humanitaires et relatifs aux réfugiés. 

Cette réalité soulève au moins trois écueils dont le gouvernement canadien devra tenir compte dans l’attribution de fonds additionnels dans la riposte mondiale à la covid-19.  

 

Les ressources actuelles seront insuffisantes 

Partout dans le monde surgissent des crises consécutives à la covid-19 parallèlement aux changements climatiques et aux conséquences sur l’économie. Le risque que les ressources actuelles ne soient pas suffisantes pour combler les besoins considérables est pourtant bien réel. Les ministres africains des finances estiment qu’il faudra 100 milliards de dollars de plus pour atténuer les effets sur la santé et les répercussions économiques de la pandémie sur le contient. En effet, la réponse à court terme à la covid-19 ne doit pas faire ombrage aux mesures prises pour réagir aux crises actuelles. 

À ce jour, les fonds consentis sont bien inférieurs au montant jugé nécessaire par ces ministres. L’Union européenne a annoncé l’octroi d’une enveloppe de 15 milliards d’euros pour soutenir les mesures de lutte à la covid-19 au début d’avril. Il ne s’agit pas d’argent neuf mais de fonds provenant de programmes existants. Ce financement sera accompagné ensuite de 6,15 milliards d’euros dans le cadre du sommet « Objectif mondial : Unis pour notre avenir » La déclaration conjointe du comité de l’aide étrangère de l’Organisation de coopération et de développement économiques n’énonce pas une intention d’élaborer une réponse ambitieuse à la covid-19 à l’échelle mondiale qui serait assortie de ressources proportionnelles.  Compte tenu de l’ampleur des besoins, ces engagements sont bien modestes et ne répondent pas aux investissements requis pour protéger les acquis et éviter les répercussions catastrophiques potentielles de la covid-19.  

Les citoyens des pays riches sont ébranlés par la perte d’emplois, le confinement et les préoccupations qu’engendre l’endettement public. Parallèlement, les gouvernements doivent composer avec le manque d’appui potentiel de la population envers l’attribution de fonds supplémentaires et nouveaux à l’aide étrangère. Néanmoins, il faut reconnaître que sans un effort mondial concerté, le Canada et le reste du monde subiront d’autres vagues de covid-19. Alors que le gouvernement du Canada examine la prochaine phase de son soutien pour contenir la pandémie, il y a un besoin urgent pour le Canada de répondre aux impacts immédiats et secondaires de la COVID-19 avec des fonds nouveaux et supplémentaires. Cet investissement devrait être associé à un plan visant à augmenter les dépenses globales d’aide publique au développement. On ne peut utiliser des ressources déjà fort sollicitées sans, en contrepartie, injecter les fonds nécessaires qui contribueront à créer un monde plus sécuritaire et sain et, partant, un Canada plus sain.   

 

Le travail en vase clos ne réglera rien 

La communauté du développement international aspire depuis longtemps à l’intégration des interventions humanitaires dans les activités de développement, ce que le secteur qualifie de nouvelles façons de collaborer. La pandémie de covid-19 rappelle l’importance de coordonner les interventions d’aide humanitaire, de paix et de développement en vue d’assurer leur cohésion, particulièrement en présence de crises complexes et prolongées. Le gouvernement du Canada doit veiller à ce que les organismes partenaires aient la possibilité d’utiliser les fonds destinés au développement et à l’aide humanitaire pour répondre aux besoins urgents ou émergents des collectivités et des individus. Cela accélérera les effets et améliorera la capacité des organismes dans leurs démarches auprès des populations les plus vulnérables en évitant le fardeau administratif des ajustements projet par projet.  

 

La crise ne sera pas terminée après que la pandémie soit endiguée  

Les estimations affichent une croissance du nombre de personnes en situation de pauvreté extrême en raison de la pandémie. Même si les chiffres exacts dépendront de la contraction de l’économie mondiale, une contraction modeste de 5 % ferait en sorte que plus de 80 millions de personnes vivraient sous le seuil de pauvreté établi en 2018 à 1,9 USD par jour selon une étude récente. Une contraction de 10 % ferait grimper ce nombre à 180 millions. Ces prévisions n’incluent pas le nombre de personnes qui deviendront de « nouveaux pauvres » et dont le revenu se situera au-dessous de 3,20 USD et 5,50 USD par jour. Même si l’on arrive à contenir le virus, la crise ne sera pas résolue.  

Des signaux émis par la ministre canadienne du Développement international, notamment au cours d’une rencontre publique qu’elle a animée avec le Conseil canadien pour la coopération internationale et d’autres partenaires du milieu de la coopération internationale au début d’avril, permettent de croire que le Canada maintiendra le cap en ce qui a trait aux programmes actuels. Bien que les partenaires aient été encouragés à adapter leurs activités en fonction du nouveau contexte, le gouvernement du Canada ne perd pas de vue ses priorités à long terme sur le développement durable, y compris dans le cadre de la reprise ultérieure à la pandémie. Cela revêtira un aspect essentiel dans les mois à venir. 

Shannon Kindornay dirige le service de la recherche, des politiques et des pratiques au Conseil canadien pour la coopération internationale 

Erika Richter coordonne les campagnes d’aide publique au développement au Centre canadien pour la coopération internationale