Alors que nous avons dépassé la moitié du chemin vers 2030, le Rapport 2024 sur la mise en œuvre nationale des ODD arrive comme à la fois un bilan de température et un miroir, reflétant l’architecture inégale et souvent fragile du développement durable à travers le monde. Il présente les efforts de 35 pays pour faire avancer les Objectifs de développement durable (ODD), révélant à la fois des engagements politiques concrets et des défis profonds en matière de mise en œuvre. Pour celles et ceux qui ont lu le rapport Le paysage de l’après-2030 de Coopération Canada, les tendances relevées dans ce nouveau rapport semblent familières. Elles font écho aux transformations structurelles et asymétries que nous avons explorées à travers nos scénarios : une décentralisation sans transfert de pouvoir, une participation sans influence et des progrès volontairement inégaux.

Le Rapport sur la mise en œuvre des ODD est publié chaque année par la plateforme de la société civile Action for Sustainable Development, en partenariat avec d’autres organisations telles que BOND, Coopération Canada, FORUS, l’Institut international du développement durable (IIDD), Aide à l’enfance et Sightsavers. La 9e édition a été rédigée par Wangu Mwangi.

La bonne nouvelle ?

De nombreux gouvernements prennent les ODD au sérieux : plus de 90 % les ont intégrés dans leurs plans nationaux de développement. Certains, comme le Costa Rica, les relient directement aux budgets publics et aux investissements. D’autres, comme le Brésil, ont réactivé leurs plateformes nationales de coordination, réintégré la société civile dans les processus de planification et recueilli l’avis de plus de 1,5 million de personnes dans le cadre de leur dernier cycle de planification.

La dure réalité ?

Mais la réalité est plus nuancée. Dans bien des cas, cette intégration reste superficielle. Seuls 26 % des pays ont impliqué des parties prenantes dans la définition de leurs priorités ODD. L’engagement de la société civile se limite souvent aux examens nationaux volontaires (VNR), avec peu d’influence sur la planification ou le financement à long terme. Bien que 91 % des pays déclarent disposer de structures de gouvernance formelles pour les ODD, seulement 63 % incluent des acteur-trice-s non étatiques, et encore moins leur garantissent une place stable ou une réelle influence dans la prise de décision.

Ce paradoxe de la participation reflète l’un des risques identifiés dans notre initiative prospective : la menace d’un multilatéralisme symbolique, décrite dans le scénario de la coopération transactionnelle. Un monde où la coopération devient une affaire d’échanges d’intérêts à court terme, où la participation est de façade, et où les décisions sont prises sans vision inclusive ni engagement à long terme.

Pourtant, certains signaux laissent entrevoir des pistes plus prometteuses. Le modèle de développement paroissial de l’Ouganda est un bon exemple d’intégration de la planification des ODD à l’échelle locale. Il propose un cadre pour répondre aux besoins de développement au niveau des ménages, en s’adaptant aux réalités des communautés. De même, le Kenya a soutenu 17 de ses 47 comtés dans l’élaboration de leurs propres examens locaux des ODD, avec l’appui de la coordination et de la formation nationales. Ces initiatives incarnent le scénario de la coopération multipartite que nous avons envisagé : une gouvernance distribuée, inclusive et adaptable. Mais comme le souligne le rapport, ces démarches restent fragiles et insuffisamment financées.

L’Autriche, quant à elle, offre un aperçu de ce que pourrait être un suivi réellement utile. Alors que la majorité des pays peinent encore à produire des données de qualité, notamment désagrégées, l’Autriche est le seul pays du rapport 2024 à avoir couvert l’ensemble des indicateurs des ODD examinés. Son approche associe le système statistique national à des réseaux de recherche universitaire et à des partenariats avec la société civile, créant ainsi un environnement de données plus transparent et participatif.

Ces exemples, s’ils sont renforcés et reproduits, pourraient jeter les bases d’une coopération plus résiliente et légitime. Comme le décrit notre note politique de 2020 sur la participation efficace des parties prenantes, les véritables progrès dépendent de la participation de la société civile non pas seulement comme observatrice ou exécutante, mais comme partenaire à part entière. Cette note présente des principes concrets et utiles, implication précoce, transparence, financement adapté et boucles de rétroaction, pour transformer la participation en codécision.

Le 9e Rapport sur la mise en œuvre des ODD ne se contente pas de mesurer la distance qui nous sépare de 2030. Il met en lumière des tensions plus profondes entre ambition globale et appropriation locale, entre inclusion formelle et influence réelle, des tensions qui détermineront la nature de la coopération internationale dans les années à venir. Il nous laisse aussi avec une question essentielle : cherchons-nous encore à mettre en œuvre les ODD tels qu’ils ont été imaginés en 2015, ou sommes-nous prêt-e-s à les faire évoluer pour répondre au monde tel qu’il est aujourd’hui ?

Lisez les rapports sur les pays à l’honneur ici. (Disponible en anglais)