Le milieu du développement durable revendique depuis belle lurette un allégement de la dette. Les appels des organismes de la société civile à annuler la dette et les interventions des gouvernements en ce sens ne sont pas nouveaux, comme le rappelle l’Initiative en faveur des pays pauvres très endettés. Cela dit, les impacts de la covid-19 sur les pays en développement apportent de l’eau au moulin de ceux qui réclament un allégement de la dette. Le service de la dette entre en concurrence avec le financement des services de santé et d’éducation, des infrastructures et d’autres investissements essentiels publics dans le bien-être des citoyens. Selon l’organisme One Campaign, 64 pays à travers le monde, dont 30 en Afrique subsaharienne, consacrent plus de fonds au service de la dette qu’à la santé publique.

Le fardeau de la dette était préoccupant bien avant la pandémie de covid-19. Le Groupe de réflexion interinstitutions des Nations unies sur le financement du développement a évoqué la charge importante que représente l’accumulation de la dette en 2020, indiquant que quarante-quatre p. cent au moins des pays peu développés ou à faibles revenus courent actuellement un risque élevé de surendettement. Comme en fait foi une analyse de l’endettement des pays d’Afrique, la portion de la dette comparée au PIB est passée d’un peu moins de trente-deux p. cent entre 2010 et 2015 à plus de cinquante p. cent en 2020. Des pays tels que le Cap-Vert et le Mozambique enregistrent des taux d’endettement de plus de cent p. cent.

En réaction à cette situation, des organismes de la société civile proposent d’annuler immédiatement la dette de 69 pays pauvres en 2020, y compris auprès des créanciers privés, par des moyens chapeautés par le jubilé britannique de la dette. Des intellectuels et des gouvernements africains préconisent également un allégement de la dette. Les experts du centre de réflexion américain Brookings Institute approuvent cette idée, invoquant la nécessité de geler pendant deux ans le paiement de la dette extérieure, incluant le capital et les intérêts, et d’alléger celle des pays à revenus intermédiaires. Par ailleurs, ils jugent que le FMI et la Banque mondiale devraient avoir plus de pouvoir pendant cette période pour mener des analyses approfondies de la viabilité de la dette sur les pays concernés en vue d’éclairer une possible restructuration de la dette.

Le 15 avril, les membres du G20 ont consenti à alléger la dette des pays les moins développés et de ceux à faibles revenus jusqu’à la fin de 2020, ce qui devrait dégager jusqu’à 20 milliards $ pour les pays en développement. Ainsi, les pays concernés n’auront pas à rembourser le service de la dette en 2020 mais l’intérêt continuera à s’accumuler. Comme le remboursement sera reporté, cette initiative n’équivaut pas à une annulation de la dette. Par ailleurs, le G20 évalue si l’émission de droits de tirage spéciaux (instrument monétaire qui complète les réserves des pays membres du Fonds monétaire international) pourrait venir en aide aux pays aux prises avec des problèmes de liquidité à court terme bien que les membres ne soient pas parvenus à un accord sur ce point.

La Chine est aussi en faveur de la suspension du paiement de la dette sans toutefois s’engager à approuver son effacement au cours de la crise qui sévit. La Chine est un élément essentiel du panorama des emprunts en Afrique. On estime que la Chine détient vingt p. cent de la dette africaine. Plutôt que de prôner l’effacement de la dette, la Chine est plus susceptible de vouloir reporter les paiements, restructurer la dette ou convertir les créances en capital. La Chine, comme d’autres grands bailleurs de fonds, pense que l’annulation ou l’effacement de la dette se traduirait par un financement accru de la dette du fait que les pays africains pourraient emprunter davantage chez des créanciers commerciaux ou autres en raison d’un meilleur ratio d’endettement.

Sachant cela, quelle doit être la position du Canada? Les trois recommandations suivantes s’adressent au gouvernement du Canada.

Veiller à ce que la réponse à la covid-19 n’ajoute pas au fardeau de la dette

Comme le souligne entre autres le jubilé de la dette, il faut s’assurer que les investissements consentis durant la pandémie n’alourdissent pas la dette des pays qui font face à la crise. La première phase du financement pour contenir la pandémie de covid-19 accordé par le Canada comprend 30 millions $ qui répondront aux demandes d’aide des pays partenaires du Canada dans le développement. Le Canada doit répondre à des demandes de soutien financier et en nature qui serait octroyé sous forme de subventions plutôt que de prêts pour minimiser les impacts sur l’endettement.

Promouvoir un allégement de la dette au-delà des gouvernements et d’autres instances pour que les pays disposent de plus de liquidités

Le bilan du Canada en matière d’allégement de la dette est de bon augure pour préconiser un allégement de la dette en tant qu’élément critique de la riposte à la covid-19. En revanche, le Canada n’est pas le joueur le plus imposant et les créanciers des pays en développement se composent de gouvernements, d’institutions financières multilatérales et de plus en plus d’entreprises commerciales, ce qui rend complexe toute mesure d’allégement de la dette. Le Fonds monétaire international a consenti à alléger la dette de vingt-cinq de ses États membres les plus pauvres. D’autres institutions multilatérales pourraient emboîter le pas. Le Canada peut se servir de son statut dans les institutions multilatérales pour préconiser des mesures d’allégement de la dette similaires. Il pourrait aussi joindre sa voix à celle d’autres États européens qui réclament l’émission de droits de tirage spéciaux par les pays à faibles revenus. Le Canada pourrait de plus se faire l’apôtre d’une proposition qui vise le transfert de droits de tirage spéciaux des pays riches vers les pays à faibles revenus.

La Banque mondiale a quant à elle proposé que les créanciers commerciaux participent à l’allégement de la dette avec les bailleurs de fonds bilatéraux car elle estime qu’ils ne peuvent profiter gratuitement d’un allégement de la dette consenti par d’autres. Le Canada peut intervenir dans le rejet du statut juridique de certains cas en faisant rembourser la dette par des pays de l’hémisphère Sud et en appuyant la Banque mondiale qui réclame que les créanciers commerciaux participent à l’allégement de la dette avec les bailleurs de fonds bilatéraux.

Placer la restructuration de la dette à long terme parmi les priorités au-delà de la crise actuelle

Il ne faut pas oublier la nécessité de restructurer la dette à long terme une fois la crise passée. Comme nous l’avons mentionné ci-dessus, les pays composaient déjà avec un niveau d’endettement difficile à soutenir avant que la pandémie ne vienne amplifier la fragilité de leur économie et de leurs filets sociaux. Le Canada s’est montré en faveur de l’allégement de la dette par le passé. Il a en effet participé à la fondation du Club de Paris (regroupement informel de pays créaciers) et a pris part à l’Initiative pour la réduction de la dette des pays pauvres très endettés et à l’Initiative d’allégement de la dette multilatérale. En 1999, le Canada a mis en œuvre l’Initiative canadienne d’allégement de la dette pour radier la dette de certains pays débiteurs et en complément à l’Initiative en faveur des pays pauvres très endettés. Au-delà des effets immédiats de cette crise, le Canada peut jouer un rôle de leader dans les efforts visant à rappeler la nécessité constante d’alléger la dette des pays partenaires en développement.

Shannon Kindornay dirige le service de la recherche, des politiques et des pratiques et Erika Richter coordonne les campagnes d’aide publique au développement au Conseil canadien pour la coopération internationale.