Entretien avec Pascal Paradis, Avocats sans frontières

Déc 4, 2018

 

 

Ce mois-ci, le CCCI a rencontré Pascal Paradis, directeur général d’Avocats sans frontières

 

CCCI : Avocats sans frontières Canada travaille en Amérique latine, en Haïti et en Afrique actuellement. Entre autres activités, vous participez à l’observation du procès de Berta Cáceres au Honduras (leader environnementale assassinée en 2016), au sein d’une coalition d’organisations nationales et internationales. Quels sont les enjeux associés au travail dans des dossiers qui sont si politisés et conflictuels? Quelles leçons en tirez-vous?

Pascal Paradis : Notre travail nous amène de fait très souvent dans des dossiers complexes et délicats, qui sont fortement ancrés dans l’actualité sociale et politique du pays. L’État de droit, la gouvernance, les droits humains, l’accès à la justice, ce sont des notions très politiques. Toutefois, ce n’est pas sous l’angle politique que nous les abordons, c’est sous l’angle du droit. La base de toutes nos interventions, c’est le droit international et le droit national.

Notre objectif dans un dossier de litige stratégique, ou dans l’observation d’un procès emblématique comme celui des personnes accusées du meurtre de la défenseure des droits humains Berta Cáceres, c’est de nous assurer du respect des normes applicables.

Nous devons alors trouver un équilibre délicat entre le travail de développement international et celui de plaidoyer pour une plus grande justice. Une leçon importante est qu’en demeurant focalisés sur le cadre juridique, nous conservons une crédibilité et une indépendance qui sont cruciales.

CCCI : Compte tenu du fait que votre mission est de renforcer l’accès à la justice et à la représentation juridique, comment choisissez-vous vos partenaires et les cas emblématiques dans lesquels vous travaillez?

Pascal Paradis : Les partenaires sont choisis en fonction des valeurs et principes d’action d’ASFC. Les partenaires doivent aussi nous choisir sur la base de leurs valeurs! On cherche une concordance en matière d’intégrité, d’engagement, de collégialité, de complémentarité, d’affirmation des droits humains, de professionnalisme et responsabilité.

Les cas emblématiques sont presque toujours choisis par les partenaires d’abord, ASFC étant là pour répondre à des besoins de renforcement de capacités en méthodologie, application du droit international, enquête, préparation des témoins, etc.

Le litige stratégique de cas emblématiques consiste à sélectionner parmi de multiples dossiers de violations des droits humains existants celui qui aura le plus de chance d’aboutir à une condamnation, sur le fond ou sur la procédure, par un tribunal national.

Le dossier sélectionné peut également être celui le plus symbolique de par les faits poursuivis, tels que le viol, l’esclavage sexuel ou le crime contre l’humanité, ou en raison du statut social ou politique de l’auteur du crime, comme cela est le cas lors de l’ouverture de poursuites contre d’un ancien dictateur ou des plus hauts responsables étatiques. La décision rendue créera une jurisprudence sur laquelle les dossiers suivants pourront s’appuyer pour obtenir justice.

CCCI : Avocats sans frontières Canada reçoit l’appui financier pour ses programmes du Gouvernement du Québec, du Gouvernement du Canada et vous avez aussi des partenaires financiers issus d’entreprises privées, de même que le Barreau du Québec. Que pouvez-vous dire à propos de cette diversité de bailleurs de fonds et les défis que vous confrontez?

Pascal Paradis : La majeure partie de notre financement programmatique provient du gouvernement du Canada à travers une gamme variée de ses programmes de coopération internationale. C’est important pour nous de compter sur un tel partenariat qui démontre la confiance dont jouit ASFC. Nous sommes également très fiers de compter sur l’appui – y compris l’appui financier – d’une large partie de la communauté juridique, dont la plupart des grands cabinets d’avocats du pays, le Barreau, et de plusieurs entreprises privées. C’est une question de crédibilité, et aussi une illustration de l’engagement des Canadien.nes envers la mission de l’organisation. Cela nous permet aussi d’avoir accès à beaucoup de services bénévoles.

La diversité des bailleurs de fonds est extrêmement importante pour la sécurité financière de l’organisation à long terme. L’objectif est d’être à l’abri de possibles crises, du fait d’être trop dépendants d’un seul et même bailleur.

Pour cette raison, nous continuons de développer des partenariats et de maintenir des événements de financement, comme par exemple notre spectacle bénéfice annuel.

CCCI : Vous faites partie du conseil d’administration du CCCI depuis quelques mois. Quelles sont les perspectives uniques grâce à votre expérience chez ASFC que vous voulez apporter au CA du CCCI? Et que souhaitez-vous retirer de cette expérience.

Pascal Paradis : J’ai énormément de respect pour le rôle que joue le CCCI au Canada. C’est un excellent porte-parole de la communauté du développement international et de l’aide humanitaire, un créateur de synergies, un centre d’analyse et de réflexion, un forum où nous pouvons nous réunir et parler d’une voix unie aux autres parties prenantes. J’espère pouvoir y contribuer en partageant l’expérience unique d’ASFC à titre d’organisation de coopération internationale hautement spécialisée, entre autres sur le plan juridique. De mon côté, j’en retire déjà beaucoup en matière de dialogue pancanadien et de meilleures pratiques. Je trouve le CCCI très innovant dans sa réflexion sur la coopération internationale.

CCCI : Lors de la dernière conférence annuelle du CCCI à Ottawa, vous avez participé à un panel organisé par le programme Prochaine Géneration CCCI-ACÉDI à propos de la collaboration entre les académiques et les organismes de développement international. Quelles leçons tirez-vous de cette réflexion et de vos pratiques chez ASFC?

Pascal Paradis : La recherche est une partie intégrante de tous nos projets de coopération internationale, en ce que l’objectif de partage au niveau national des bonnes pratiques internationales et du droit international nécessite une constante implication d’experts internationaux et nationaux qui, ensemble, produisent des rapports, enquêtes, argumentaires, mémoires, etc. sur la base desquels des actions concrètes sont entreprises.

Nous faisons d’ailleurs partie du Partenariat canadien pour la justice internationale qui regroupe plusieurs des plus éminents juristes canadiens en matière de lutte aux crimes internationaux (crimes de guerre, crimes contre l’humanité, génocide) de même que les principales organisations de la société civile active dans ce domaine. L’idée est justement de lier la recherche à l’action sur le terrain.

Il s’agit d’un partenariat qui bénéficie tant aux groupes universitaires qu’aux organismes de développement international. Les groupes universitaires d’ASFC contribuent par leurs recherches à soutenir les droits humains et ce faisant, acquièrent une formation. Cela contribue donc à la relève générationnelle. En outre, ça permet aux futurs avocats et autres étudiants avec un intérêt marqué pour les droits humains d’approfondir leurs connaissances, développer leur propre réseau et connaitre le travail d’ASFC. ASFC bénéficie d’un accès facile à un groupe d’experts qui peuvent contribuer leurs connaissances à nos projets.