Dans le cadre de la Semaine de l’égalité des sexes, CCCI mettra en lumière le travail accompli par certains de nos membres pour promouvoir l’égalité des sexes. Ce billet a été rédigé par Catherine Boyce, de CAMFED, qui nous présente leur programme Climate-Smart Agriculture Guides (Guides agricoles) qui a reçu cette semaine le Prix de l’action climatique mondiale des Nations Unies.

Pouvez-vous imaginer travailler toute la journée sous la chaleur, solliciter l’aide de vos enfants pour les travaux agricoles aux champs et ne pas cultiver assez pour nourrir votre famille et gagner votre vie ? C’est pourtant la réalité de millions de femmes dans les zones rurales d’Afrique qui endossent, de nos jours, le fardeau de l’agriculture pour nourrir leur famille et qui sont doublement touchées par une pénurie de ressources féminines et l’impact du changement climatique.

En ce qui concerne le déficit des femmes – les femmes agricultrices sont généralement 20 à 30 % moins productives que les hommes. Ce n’est pas parce qu’elles travaillent moins fort – car en effet, elles travaillent en moyenne un plus grand nombre d’heures. Elles n’ont cependant pas accès aux mêmes biens naturels (la terre et l’eau), formations, financements, services d’information et intrants de qualité comme les semences que leurs homologues masculins. Si cette inégalité était corrigée, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture estime que près de 150 millions de personnes pourraient échapper à la faim à travers le monde.

Dans l’intervalle, la productivité agricole diminue cependant, car menacée par des conditions climatiques plus extrêmes qui se manifestent par des sécheresses, des inondations et les récents cyclones dévastateurs, Idai et Kenneth, qui détruisent les vies et les modes d’existence. Pour les communautés rurales d’Afrique, le changement climatique n’est pas un concept théorique ni un risque qui n’adviendra pas avant de nombreuses années à venir. C’est une incontestable réalité. Les filles et les femmes africaines contribuent de façon négligeable aux émissions de gaz à effet de serre, mais elles sont les premières à ressentir les effets du changement climatique alors qu’elles s’efforcent de cultiver la terre pour produire suffisamment pour nourrir leur famille. Elles sont particulièrement vulnérables à la faim, au mariage précoce et à la violence dans un contexte de rareté des ressources.

Nous avons besoin d’une réponse d’envergure mondiale à cette menace planétaire. Comme tant d’autres, j’ai été énormément inspiré par l’action des jeunes sur le changement climatique. Une grande partie de cette action se déroule en Afrique subsaharienne, avec à sa tête des jeunes femmes vivant dans certaines des communautés rurales les plus pauvres. Elles sont également à la tête de l’action communautaire pour la sauvegarde des cultures vivrières face au changement climatique, la gestion des ressources en eau et la protection des arbres et de la qualité des sols.

Le réseau des anciennes élèves de la Campagne pour l’éducation des femmes – ou membres du réseau CAMA – est un mouvement de 140 000 jeunes femmes africaines instruites. Ensemble, elles sont le fer de lance de la lutte contre les changements climatiques. Elles ont reçu le Prix de l’action climatique mondiale des Nations Unies au titre de l’efficacité et de l’ampleur potentielle de l’action du réseau CAMA en matière de climat. Les lauréats de ce prix des Nations Unies sont parmi les exemples les plus concrets, les plus évolutifs et les plus reproductibles de ce que les gens, les entreprises, les gouvernements et les industries font pour lutter contre le changement climatique.

J’ai rencontré Annie N’gandu pour la première fois en Zambie en 2008 alors qu’elle aidait à diriger une initiative de leadership et d’entreprise pour d’autres jeunes diplômés. Sa positivité contraste avec son enfance tragique : orpheline très jeune, elle a dû manquer de nombreuses années d’école parce que pauvre. Avec le soutien de la Campagne pour l’éducation des femmes (CAMFED), Annie a cependant été formée à l’entreprenariat et a lancé et développé une entreprise agricole prospère. Au cours des cinq dernières années, Annie s’est fait la championne de l’agriculture climato-intelligente en Zambie rurale :

« J’explique l’espacement du maïs et des betteraves par exemple, pour qu’ils poussent bien et comment faire du compost avec du fumier. J’enseigne aux gens comment construire un fourneau propre, qui utilise moins de bois et produit moins de fumée. Je forme aussi les gens à la gestion des déchets. Maintenant, ils recyclent ou vendent les déchets pour de l’argent. » 

Annie N'gandu, Guide agricole en Zambie

Annie a permis à des centaines d’autres petits exploitants, des groupes de jeunes et de femmes d’acquérir les compétences dont ils ont besoin pour protéger leurs fermes contre les conditions climatiques extrêmes provoquées par le changement climatique et pour améliorer leur productivité. Elle a gagné la confiance et le soutien des responsables agricoles de l’administration locale, qui l’invitent à se former à leurs côtés, et des chefs traditionnels, comme le chef Nkula, qui, sous inspiration, a eu l’idée d’octroyer une terre de 300 hectares pour cultiver une ferme de démonstration d’agriculture climato-intelligente. Elle a également augmenté la productivité de sa propre ferme, a accueilli trois enfants abandonnés et a aidé davantage de jeunes d’aller à l’école.

Annie n’est pas seule à figurer parmi le leadership climatique. D’Eva Damasi, qui s’emploie à soutenir l’agroforesterie en Tanzanie, à Clarah Zinyama, au Zimbabwe, qui travaille avec des groupes de mères pour accroître la productivité des petites exploitations utilisées pour cultiver des aliments pour les repas scolaires ; les membres du réseau CAMA mènent des actions de lutte contre le changement climatique dans les zones rurales d’Afrique.

Ces jeunes femmes – appelées Guides agricoles – font la promotion des techniques traditionnelles et novatrices de l’agriculture climato-intelligente. Elles ont reçu l’appui de la Mastercard Foundation de Toronto et de l’Université EARTH au Costa Rica, qui, en collaboration avec la CAMFED du réseau CAMA, ont élaboré un cours sur mesure en agriculture durable. En contribuant à façonner le contenu, les femmes leaders ont veillé à ce qu’il soit adapté au contexte dans lequel elles vivent et travaillent, et conforme aux traditions autochtones.

Clarah, par exemple, a réintroduit la culture intercalaire sur sa ferme, qui consiste à faire pousser deux cultures sur la même parcelle. C’est une technique autrefois pratiquée par sa grand-mère qui réduit l’érosion du sol, préserve les éléments nutritifs du sol et aide à la lutte antiparasitaire. Elle réutilise de vieilles bouteilles en plastique pour une irrigation au goutte-à-goutte abordable, en les enfouissant dans le sol avec des petits trous dans le bouchon pour libérer progressivement l’eau. Clarah forme également des groupes communautaires à la construction de séchoirs solaires simples pour préserver la nourriture et réduire les déchets.

Les résultats sont clairs et se traduisent par une augmentation des rendements, de la nutrition familiale et des revenus. À ce jour, Annie, Clarah et Eva et une petite équipe de guides agricoles du réseau CAMA ont atteint plus de 8 500 personnes des zones rurales d’Afrique avec des connaissances et des techniques pour renforcer la productivité agricole et la résilience face au changement climatique. Il s’agit notamment de méthodes abordables d’irrigation, de rotation des cultures, de compostage de matières organiques et de paillage qui améliorent la nutrition des sols et le stockage du carbone, la gestion de l’eau et la productivité. Elles sensibilisent leurs communautés à la gestion des déchets et à la manière de construire des fourneaux de cuisine plus propres à partir de ressources locales qui consomment moins de combustible et réduisent davantage les émissions de carbone. Les Guides agricoles qui constatent que les résultats se traduisent par une amélioration des rendements et des profits dans leurs propres fermes, jouissent d’un statut plus élevé au sein de leurs communautés et ont créé quatre nouveaux emplois rémunérés en moyenne chacune.

Elles aident aussi les filles à réussir à l’école et au-delà. L’an dernier, par exemple, les membres du réseau CAMA ont utilisé leurs propres ressources pour aider plus de 700 000 enfants à aller à l’école. Elles s’aident mutuellement à faire la transition entre l’école et une vie active épanouie, à progresser dans la chaîne de valeur et à considérer l’agriculture comme une opportunité commerciale. Lorsque les filles restent à l’école et que les femmes génèrent un revenu, elles peuvent éviter le mariage précoce, acquérir un pouvoir de décision et prendre le contrôle de leurs choix de vie. Ce sont là des priorités en soi qui ont également des effets positifs sur le climat. Elles se traduisent par le mariage à un âge plus tardif et par des familles moins nombreuses et en meilleure santé, réduisant de façon cumulative la croissance démographique et les émissions de gaz à effet de serre.

Comme le démontre l’expérience d’Annie, Clarah et Eve, il est essentiel que notre stratégie mondiale sur le climat renforce la capacité des collectivités vulnérables à s’adapter aux effets du changement climatique, tout en réduisant d’urgence les émissions de gaz à effet de serre. A la Campagne pour l’éducation des femmes, nous nous efforçons de verser davantage de ressources à ces jeunes femmes, qui sont sur la ligne de front des changements climatiques. Clarah résume ce que le Prix de l’action climatique mondiale des Nations Unies décerné cette semaine signifie pour elle et ses pairs :

« Nous sommes très heureuses de cette reconnaissance mondiale du leadership du réseau CAMA en matière d’agriculture climato-intelligente. En tant que réseau, nous développons et partageons une expertise qui va d’une meilleure gestion des terres et de la lutte contre la déforestation à l’utilisation de cultures climato-intelligentes, du chauffage solaire et de techniques traditionnelles de réfrigération. Notre réseau nous permet de transmettre nos connaissances aux agricultrices et agriculteurs de nombreux districts ruraux, ce qui contribue à renforcer la résilience aux chocs climatiques tout en améliorant la productivité, en réduisant les émissions et en nourrissant les communautés scolaires. Ce prix célèbre ce qui est possible lorsque nous travaillons tous ensemble pour nous attaquer à deux des problèmes les plus pressants de notre temps : l’exclusion des filles de l’éducation et le changement climatique. » 

Clarah Zinyama, Guide agricole au Zimbabwe

Efforçons-nous tous d’égaler son activisme face au changement climatique et de relever ensemble ce défi mondial.

Catherine Boyce

Catherine Boyce

Directrice du développement des entreprises, Campagne pour l'éducation des femmes (CAMFED)

Depuis 25 ans, la Campagne pour l’éducation des femmes (CAMFED) unit les communautés dans un effort collectif pour garantir le droit à l’éducation des filles les plus exclues, ce qui a permis à plus de 3,3 millions d’enfants au Zimbabwe, en Zambie, en Tanzanie, au Ghana et au Malawi de recevoir un soutien scolaire.

En tant que directrice du développement des entreprises, Catherine travaille à mettre en contact les jeunes femmes instruites – membres du réseau CAMFED CAMA – avec les ressources et le soutien dont elles ont besoin pour jouer un rôle de premier plan dans l’action climatique, les emplois et la prospérité en Afrique subsaharienne rurale. Avant de rejoindre CAMFED en 2008, Catherine était consultante en stratégie spécialisée en entrepreneuriat. Elle a étudié l’histoire aux universités de Cambridge et d’Oxford.