Cette semaine, le cabinet du Premier ministre a publié des lettres de mandat supplémentaires, répondant aux attentes accrues des ministres canadiens durant la pandémie mondiale. Les responsabilités énumérées dans ces lettres de mandat supplémentaires n’annulent pas les engagements énumérés dans les lettres de 2019, qui ont déjà été analysés par Coopération Canada (CCIC à l’époque).

Coopération Canada propose ci-dessous une analyse des lettres supplémentaires et de leurs implications pour le secteur de la coopération internationale. Cette analyse est adaptée aux intérêts des membres de Coopération Canada et ne doit en aucun cas être interprétée comme un résumé exhaustif des priorités politiques du gouvernement actuel.

Tendances générales

Les lettres de mandat délivrées au cabinet nouvellement remanié sont conformes aux positions prises par le gouvernement fédéral jusqu’ici. Les quatre domaines prioritaires restent (i) la santé publique, (ii) une soutenue reprise économique, (iii) un environnement plus sain, et (iv) l’équité et l’égalité. Tout en répondant aux répercussions directes (santé publique) et indirectes (en l’occurrence essentiellement économiques) de la COVID-19, il est conseillé aux ministres d’accroître l’ambition des programmes visant à répondre à la pandémie et à assurer une reprise rapide. Par ailleurs, ils devraient s’abstenir de prendre des mesures budgétaires dont les répercussions fiscales s’étendraient sur le long terme à la fin de la pandémie. Sur une note positive, le gouvernement accorde toujours une importance à des questions telles que la durabilité environnementale et la construction de sociétés équitables.

 

Répercussions sur l’économie et l’APD

La reprise économique étant (comme il fallait s’y attendre) en tête de liste des priorités du gouvernement, le rôle de la ministre Freeland est plus important que jamais. La lettre supplémentaire lui donne pour instruction de « préserver l’avantage fiscal du Canada » et « d’utiliser la puissance de feu fiscale nécessaire à court terme » mais aussi « d’éviter de créer de nouvelles dépenses permanentes ». Cela traduit clairement que les augmentations budgétaires obtenues lors de la COVID-19 ne doivent pas être considérées permanentes. Compte tenu d’augmentations budgétaires déjà réalisées à la suite des crises mondiales, il ne faudrait pas s’attendre à ce que celles adoptées au cours de cette période soient maintenues dans le futur comme une augmentation des postes budgétaires spécifiques.

Cependant, toutes les leçons de justice sociale ne seront peut-être pas oubliées après la reprise. La lettre supplémentaire encourage Freeland à taxer les riches et les multinationales tout en travaillant au sein de la communauté élargie de l’Organisation pour la Coopération et le Développement Economiques (OCDE) pour lutter contre la fraude et l’évasion fiscales.

 

L’engagement mondial du Canada

L’accent mis par le gouvernement actuel sur une reprise économique durable ne se limite pas à la politique intérieure. Des lettres supplémentaires aux ministres Freeland, Garneau et Gould appellent à des efforts accrus pour assurer « des vaccins, des traitements et des systèmes de santé renforcés » au pays et à l’étranger. Le nouveau ministre Garneau est particulièrement invité à renforcer les approches multilatérales face à des crises comme la pandémie actuelle. Cependant, le sens réel de cette invitation reste flou dans un système géopolitique fragmenté de « pays donateurs », des blocs poursuivant des politiques étrangères différentes.

La lettre du ministre Gould, en particulier, est intéressante pour le secteur de la coopération internationale compte tenu de l’encouragement à : « accroître les investissements dans le développement international afin de soutenir les pays en développement dans leur reprise économique et leur résilience ». Étant donné que les niveaux d’aide publique au développement (APD) du Canada sont inférieurs à la moyenne des donateurs de l’OCDE et qu’ils se situent au niveau le plus bas jamais atteint par le pays en un demi-siècle, cet objectif s’avère plutôt complexe. Les niveaux d’APD du Canada, qui, au cours du dernier exercice financier, ne représentaient que 0,27 % du Revenu National Brut (RNB) du pays, sont loin de l’engagement international de 0,7 % ainsi que de toute attente crédible quant à la contribution du Canada à la résolution des principaux défis mondiaux qui nous touchent partout.

 

Économie verte

Les engagements du gouvernement en faveur de l’économie verte au niveau national ne semblent pas faire référence aux engagements du Canada en matière de financement mondial, qui, comme le récent rapport de C4D le montre, sont presque entièrement alloués à des organisations multilatérales sous forme de prêts. Il faut espérer que l’adoption récente du projet de loi C-12 sur la responsabilité en matière d’émissions nettes zéro est un signe que le Canada prend au sérieux sa responsabilité d’atténuer les effets du changement climatique et que la même ambition et le même dynamisme seront appliqués sur la scène mondiale.

 

Des sociétés justes et équitables

Le gouvernement actuel semble réagir aux manifestations au Canada et ailleurs sur le continent, en appelant à des efforts délibérés pour combattre et éliminer le racisme systémique.

L’égalité des sexes

Une partie de ce programme est alignée sur les efforts précédemment annoncés pour permettre de nouvelles transformations en faveur de l’égalité des sexes. Le gouvernement actuel réagit au fait que ce soient les femmes qui portent le poids de la réponse actuelle à la pandémie. C’est pourquoi de nombreuses lettres se concentrent sur l’amélioration du système éducatif canadien, des structures de garde d’enfants et de l’accès des femmes aux emplois et aux services rémunérés. Le vice-premier ministre devrait élaborer un plan d’action pour les femmes dans l’économie (qui devrait, comme toujours, être intersectionel et holistique). D’autres points à l’ordre du jour, repris dans diverses lettres ministérielles dans ce domaine, comprennent la fourniture d’abris et de logements de transition aux groupes marginalisés et vulnérables, tels que les femmes victimes de violence, l’amélioration des systèmes d’apprentissage précoce et de garde d’enfants à l’échelle du pays, et le soutien des progrès vers l’égalité des genres dans les entreprises canadiennes. Toutefois, la pandémie n’est manifestement pas utilisée comme excuse pour entraver les processus politiques en cours, comme celui des consultations pour l’élaboration de la politique étrangère féministe du Canada, qui a débuté en novembre 2020 et qui réapparaît dans la lettre adressée au ministre Garneau.

La justice raciale

La justice raciale apparaît certainement plus en évidence comme un objectif politique dans la dernière série de lettres de mandat ministériel. Cela est particulièrement évident dans les lettres supplémentaires adressées aux ministres du Conseil du Trésor, de la Diversité et de l’Inclusion et de la Jeunesse, des Femmes et de l’Egalité des genres et du Développement économique rural, de l’Emploi, du Développement de la main-d’œuvre et de l’Inclusion des personnes handicapées, des Relations Couronne–Autochtones, du Développement international et des Finances. Ces ministres sont invité-e-s à intégrer la diversité et l’inclusion dans leur travail et/ou à élaborer des stratégies sectorielles spécifiques qui intègrent ces considérations. Les lettres mentionnent aussi explicitement le problème, en faisant référence, comme c’est le cas de la lettre du ministre Chagger de 2019 portant sur la “discrimination systémique et les préjugés inconscients dans notre pays, y compris le racisme envers les Noirs.”

Le point le plus notable de l’ordre du jour lié à l’accent mis par le gouvernement sur la diversité et l’inclusion est peut-être celui de la révision de l’analyse comparative entre les sexes au Canada (ACS+), que tous les ministères ont déjà été mandaté-e-s pour intégrer. L’ACS+ devrait être réévaluée en tant qu’outil analytique permettant une plus grande désagrégation des données afin de tenir compte d’autres facteurs identitaires tels que la race, la (dés)capacité, le sexe, l’indigénéité, etc. Une telle approche indique la volonté de s’appuyer sur les progrès réalisés vers des approches politiques plus égalitaires et d’élargir la définition du terme « équitable » pour inclure d’autres facteurs d’identité. Cet engagement est en outre étayé par des appels spécifiques à faire avancer les réformes visant à remédier aux « inégalités systémiques dans le système de justice pénale » ainsi que par la mise à jour de la loi sur l’équité en matière d’emploi. La diversité et l’inclusion sont également à l’ordre du jour de la fonction publique canadienne, le Conseil du Trésor devant former un Centre pour la diversité afin de soutenir les organismes de la fonction publique dans leur travail dans ce domaine.

Réconciliation

Les lettres de mandat supplémentaires soulignent à juste titre l’importance de la réconciliation avec les peuples indigènes, particulièrement importante dans les appels à accélérer la mise en œuvre du plan d’action national en réponse à l’appel à la justice de la Commission nationale sur les femmes et les filles indigènes disparues et assassinées, ainsi qu’à accélérer le travail de l’appel à l’action de la Commission Vérité et Réconciliation. Enfin, les engagements mondiaux du Canada sont mis à l’épreuve dans ce domaine, puisque les ministres Benett et Lametti devraient adopter une législation qui permettrait la mise en œuvre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

Dans l’ensemble, le gouvernement semble reconnaître clairement ses limites en matière de politiques et de services justes et équitables et a défini des priorités politiques claires pour chacun des ministres nouvellement confirmés et/ou nommés afin de faire avancer ce travail.

Remarques finales

Dans l’ensemble, les dernières priorités politiques soulignées dans les lettres de mandat supplémentaires du gouvernement donnent peu de clarté au secteur canadien de la coopération internationale. Les messages de conservatisme fiscal et de nécessité sont en contradiction avec les ambitions de renforcer l’engagement mondial du Canada considérant que le budget d’aide publique au développement est historiquement bas.

Les lettres de mandat supplémentaires sont encourageantes par rapport l’économie verte, bien que l’agenda international doive encore être considérablement renforcé, ainsi que la diversité et l’inclusion, qui sont enfin abordées avec l’intentionnalité requise. Compte tenu des plans budgétaires incertains et probablement à court terme que le gouvernement offrira probablement au secteur et au Canada dans son ensemble au cours des prochains mois, Coopération Canada invite ses collègues et alliés du secteur à examiner l’impact inégal que la crise actuelle a eu sur la plupart des pays historiquement défavorisés, en particulier compte tenu de l’aggravation de la crise de la dette. Par ailleurs, nous invitons le secteur à plaider pour un engagement mondial du Canada qui reflète ses obligations nationales en matière de protection de l’environnement et de sociétés plus justes et plus équitables.